VOET ouvre ses carnets


Dans un long entretien accordé au journal l'équipe, le soigneur de Festina lève le secret sur le dopage et cite les doses, les produits, les méthodes, des noms. Une confession en forme d'appel. "Arrêtez le massacre ! ", implore-t-il.
Entretien réalisé à Veynes par Pierre BALLESTER.

"Willy, depuis quand le système organisé de dopage existe-t-il chez Festina ?
- Il a commencé en 1993, lors de la première année d'existence de l'équipe, mais de manière, disons, artisanale. C'est le docteur Eric Rycckaert, qui arrivait de chez PDM, qui alimentait certains coureurs, mais seulement à l'approche du Tour de France. Nous, on ne connaissait rien de tout ça. On sortait pratiquement tous de quatre saisons chez RMO et le docteur de l'équipe n'était pas dans la course.
De toute façon, le leader de l'époque, Charly Mottet, ne voulait pas entendre parler de quoi que ce soit. Ah ça ! lui, il ne s'est jamais mis une piquouze dans le cul. Certains coureurs bricolaient dans leur coin et c'est pourquoi Bruno (Roussel le directeur sportif) a dit stop. Il était pas con, Bruno... Il se doutait bien de ce qui se tramait dans son dos. Il a demandé des explications à Ryckaert et plutôt que de laisser des gars se trouer la peau comme des sauvages, il a préféré structurer l'affaire plutôt qu'ils aillent tout droit à la morgue.

- Quand cela a-t-il été décidé ?
- En février 1994, lors d'un stage de préparation. Une fois d'accord, Ryckaert m'a demandé de faire la navette pour acheminer les produits. Bruno était au courant, bien sûr. Et puis, il fallait bien quelqu'un pour le faire... Alors, deux fois par an, en février et en juin, je ramenais les produits, de Bordeaux principalement. Un membre espagnol du staff de Festina passait la frontière avec ces produits provenant le plus souvent du Portugal, d'autres d'Espagne, et moi je louais une voiture pour ne pas être voyant. A chaque convoi, je ramenerais 300 doses d'EPO et autant d'hormones de croissance.
- Tous les coureurs étaient demandeurs ?
-Presque tous. Disons, 80 % de l'équipe. Ils ne pouvaient pas faire autrement. C'est le système qui avait décidé à leur place. Leur conscience individuelle était bouffée par la dynamique de groupe. Seulement, à l'heure du déballage actuel, je ne comprends pas que ceux qui ont "balancé" lors de leur audition ne prennent pas leurs responsabilités.
- Chacun payait-il une "contribution globale", ou bien sa propre consommation ?
- La première année (1993), c'est la maison Festina qui a réglé la note et...
- Donc le grand patron savait...
- Ben...
- Bon, on ne veut pas vous mettre dans l'embarras puisque vous êtes toujours salarié Festina. A combien s'élevait la facture ?
- Je ne sais pas trop, car je tenais la comptabilité des injections, en revanche, la trésorerie n'était pas sous ma responsabilité. Je ne faisais que consigner les prises. Mais comme certains coureurs profiteurs faisaient des stocks, qu'ils abusaient en somme, le système a été modifié.
En 1994, le montant total des produits a été réparti équitablement entre les coureurs concernés. Mais comme certains étaient plus consommateur que d'autres, on l'a encore modifié. A la fin de chaque saison, je remettais à Bruno une fiche qui regroupait le nombre total des prises pour chaque coureur. Parfois, ils étaient tellement demandeurs que soit ils repartait le soir d'une course chez eux avec quatre ou cinq doses dans un bidon garni de glace, soit il m'est arrivé d'en acheminer par la poste.

- Par la poste !
- Ben oui. J'ai même gardé des bons d'envoi.
- Tout était "consommé" dans l'année ?
- Il restait un petit stock, pas grand chose, une quarantaine d'ampoules à chaque fois.
- Et qu'en faisiez-vous ?
- On les gardait au frais pour l'année suivante.
- Ces dépenses devaient être énormes.
- Au total global de chaque saison, soit 300 doses d'EPO et autant d'hormones de croissance, à raison de 450 F l'ampoule d'EPO au marché noir et quelque chose comme 600 F celle d'hormone de croissance, faites le compte : ça dépasse les 600 000 F.
- Y avait-il une grosse différence de consommation entre les coureurs concernés ?
- Par an, les plus gros demandeurs prenaient jusqu'à 80 ampoules d'EPO et une quarantaine de doses d'hormones de croissance.
- Et lequel était le plus gros consommateur ?
- Pascal Hervé. Richard Virenque n'était pas mal non plus.
- Et pourtant, tous deux nient toujours farouchement.
- Je ne le comprend pas. Pourquoi s'entêtent-ils ? Pénalement, ils ne risquent rien puisqu'ils n'étaient que des consommateurs. Tout le monde sait, tout le monde en rigole. A force de s'obstiner, ils se ridiculisent. Au point que Richard a sa marionnette tous les soirs chez les guignols de l'info (sur canal +). Comment se fait-il qu'il ne comprenne pas qu'il va droit dans le mur à nier l'évidence.

Et comment se fait-il que son avocat adopte cette ligne de défense ? Pour gagner du temps ? A moins qu'il croit dur comme fer aux dires de son client. Dans ce cas, il est bien le seul en France. D'ailleurs, il est loin du vélo, surtout quand il déclare qu'un grimpeur n'a pas besoin de se doper pour marcher. Où va-t-il bien chercher ça ?

- Le fait de transporter des produits dopants ne vous a-t-il jamais posé de cas de conscience ?
- Si. Au début, ça me posait des problèmes. Et puis mon épouse me faisait sentir que ce qui traînait parfois plusieurs jours dans le réfrigérateur, ce n'était pas sain, qu'un jour ça allait me retomber sur la gueule. D'ailleurs, ces deux dernières années, on s'engueulait de plus en plus souvent. Moi, j'étais dans un état de stress permanent. Mais que voulez-vous, j'étais naïf et con. J'étais tellement content de rendre service aux coureurs. On se laisse prendre au jeu. A la limite, j'étais fier qu'on me fasse confiance pour une telle mission, fier de voir les coureurs gagner des courses. Ben oui...
- Jamais vous n'avez ressenti la peur du gendarme ?
- Non... Enfin si, une fois, lorsque la police a fait une descente sur le giro en 1996, où l'équipe Festina était représentée, mais sans moi. On m'a raconté ce qui s'était passé pour l'équipe MG-Technogym, les tapis de sol des voitures arrachés... Ca ma foutu la trouille. J'en avais même parlé à Bruno et à Ryckaert, et on s'était dit à l'époque qu'il fallait changer nos méthodes. mais on est finalement restés sur cette conversation.
- Vous dites que vous n'avez jamais importé de produits et ...
-Ah, ça non ! jamais ! j'insiste là-dessus. D'ailleurs, au début de l'affaire, je ne voulais rien dire. Mais une fois en cellule, j'ai entendu Virenque me décrire à la télévision comme un dealer, un petit trafiquant qui revendait à d'autres équipes pour se faire du fric. Ca jamais, jamais !
- Pourtant, on vous a bien arrêté le 8 juillet dernier à la frontière franco-belge en possession de produits stupéfiants.
- Mais ils ne venaient pas de Belgique ! Laissez-moi vous expliquer ce que le SRPJ sait : avant le Tour, Ryckaert m'avait demandé de prendre le stock d'ampoules au service courses de Festina, à Meyzieu, à deux heures de voiture de chez moi. Puis de me rendre en Belgique pour prendre des cartons de perfusions. En Belgique, elles sont en plastique, ce qui est plus facilement dissimulable une fois vides, car on les met en boule avant de les jeter, alors qu'en France, ce sont des bocaux en verre. Je suis donc allé chez lui les prendre dans son garage, à Gand.
- Comment cela s'est-il passé entre vous, Bruno Roussel, Eric Ryckaert, vos avocats respectifs, et le juge Keil ?
- Ce fut dur, pénible. Bon, ça s'est bien passé. Il a tout de suite pris ses responsabilités en avouant comment ça se passait et avec qui. Avec Ryckaert, en revanche, on s'est engueulé. Lui voulait me parler en flamand pour que le juge ne comprenne pas mais, de toutes manières, il y avait un interprète. Alors, il a fait le gars qui ne se souvenait plus très bien.
- Que pensiez-vous des contrôles sanguins dans l'équipe ?
- De la rigolade ! Quand les médecins chargés d'effectuer les prélèvements sanguins débarquaient à 6 h 30, les coureurs avaient jusqu'à 8 h 15 pour faire baisser leur taux hématocrite, alors qu'il suffit d'un gros quart d'heure pour le faire. En gros, on "chasse" (injecte) un litre d'eau dans le sang avec une perfusion comprenant 0,09 % de sodium qu'on injecte à gros débit, car c'est sans risque, et le tour est joué. Vingt minutes plus tard, le taux hématocrite descend de trois barres environ.
C'est pour ça que l'UCI a réduit leur délai d'intervention par la suite. De toutes manières, on avait avec nous une petite machine dotée d'une centrifugeuse pas plus grosse que deux paquets de cigarettes pour contrôler la veille le taux hématocrite. Ca vient d'Allemagne, je crois. Au début, on n'avait qu'une machine de ce genre, parce que ça coûte quand même 4000 balles, mais les gars faisaient la queue. Maintenant, presque tous les coureurs concernés ont la leur. Six des neuf coureurs Festina qui ont fait le Tour en ont une.

- On a également dit que vous vous approvisionniez en EPO et hormones de croissance chez un couple de pharmaciens voisins.
- On sait de qui ça vient. C'était une dénonciation calomnieuse. Ce couple, enfin elle surtout, parce que son mari ne fait que l'aider, a été entendu, placé en garde à vue, par les même personnes du SRPJ de Lille, puis relâché. En fait, chez eux, je prenais des produits de récupération, et puis des trucs comme des somnifères... Bon, des corticoïdes aussi, mais rien de méchant.
- On a également entendu que ce que vous tranportiez ce fameux 8 juillet n'était pas seulement à destination de l'équipe Festina...
- Si, si. Seulement l'équipe.
- Votre avocat, Me Jean-Louis BESSIS, clame qu'il a en sa possession les preuves que Richard Virenque et les autres se dopaient.
- Pas seulement lui. Le juge Keil a par devers lui le carnet de la saison 1998 où j'avais tout consigné. J'ai remis à mon avocat les autres carnets des années précédentes, qui ne m'ont pas été demandés par la police. Il y en a une quinzaine en tout.
- Votre avocat a parlé de dynamite.
- Cela risque de le devenir... En fait, ce sont les quatre derniers, relatifs aux quatre dernières saisons, qui sont les plus importants. Un examen graphologique les authentifierait aisément. Dedans, il y a tout sur tous.
- Et vous gardiez sur vous celui en cours, comme ça ?
- Il était dans ma malette.
- Et si vous l'aviez perdu, si quelqu'un était tombé dessus ?
- Disons que le language était codé. Par exemple, pour une dose d'EPO, j'écrivais un "X" surligné en rouge. Pour une dose d'hormone de croissance, un "Z" surligné en vert. Et puis, il y avait le "P"...
- Le "P" ?
- Euh... Ben... Oh ! et puis merde, je peux bien tout vous dire. Ce "P" correspondait à un nouveau produit. Il n'est pas consigné dans les carnets, car on utilisait ce subterfuge lors des conversations téléphoniques quand on évoquait ce truc au cas où on serait sur écoute. Ce produit est révolutionnaire. C'est Ryckaert qui le faisait utiliser. certains coureurs l'avaient déjà essayé en 1997 et avaient renouvelé leur demande cette année.
- Combien de coureurs ?
- Euh... Deux ou trois... Non, quatre.
- Et qu'a-t-il de révolutionnaire, ce produit ?
- De la famille des anabolisants, il favorise le développement de la masse musculaire de manière spectaculaire. C'est un comprimé qu'on faisait venir du Portugal. On le prend en cure. Après sept jours de prise, soit dix comprimés au total, il est indécelable. Tiens, il faudrait que j'en parle à mon avocat...
- Et où se trouvent vos autres carnets ?
- Franchement, je ne sais pas ce qu'en a fait Me Bessis. Je sais seulement qu'il les a disséminés un peu partout dans des lieux sûrs. Il y a aussi un truc qui m'étonne. Pourquoi l'avocat de Virenque, qui crie au parjure, ne demande pas que ces carnets soient saisis ? Hein, pourquoi ? je vais vous dire autre chose. Ces carnets ont fait l'objet d'une surenchère complètement dingue. Des médias, des maisons d'édition, françaises comme américaines, proposent des millions, oui, des millions de francs ! ça me dépasse. Je ne sais pas trop quoi en penser. Ils veulent même que je rédige mes mémoires. C'est fou...
- Vous êtes toujours sous contrôle judiciaire. En clair, qu'est-ce que cela signifie ?
- Que je ne peux pas sortir du territoire français. Que je dois demander une autorisation au juge Keil pour sortir de mon département. Que je dois pointer une fois par semaine à la gendarmerie de mon village.

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