Le recordman du monde de saut en hauteur Javier Sotomayor reconnu positif à la cocaïne



La rumeur aura couru quelques heures avant de devenir information. Mardi 4 août, alors que la lauréate du concours de saut en hauteur des Jeux panaméricains, la Dominicaine Juana Arrendel, dix-neuf ans, se voyait retirer sa médaille d'or après avoir été contrôlée positive aux stéroïdes anabolisants ( Le Monde du 4 août), Winnipeg, la ville canadienne qui accueille la compétition, jusqu'au 8 août, bruissait.

On murmurait qu'un autre athlète de très haut niveau, sauteur lui aussi, était également impliqué dans une affaire de dopage. Le nom de Javier Sotomayor, trente et un ans, ne tardait pas à être prononcé à voix basse. Invité à plusieurs reprises à faire la lumière sur cette « affaire », le président du comité d'organisation (Odepa), Mario Vasquez Rana, refusait de s'exprimer. « Je ne dirai rien avant que les échantillons prélevés aient tous été analysés », répondait-il.

Vingt-quatre heures plus tard, il annonçait officilement que le recordman du monde cubain de saut en hauteur (2,45 m, le 27 juillet 1993, à Salamanque, en Espagne) avait été reconnu positif à la cocaïne, à la suite d'un contrôle effectué le 30 juillet, et, qu'en conséquence, la médaille d'or qu'il avait emportée lui était retirée. Eduardo de Rose, président de la commission médicale de l'Odepa, a exposé les premiers éléments de défense de la délégation cubaine : Javier Sotomayor, souffrant de l'estomac, a été soigné avec un thé provenant du Pérou. « Son médecin affirme ne s'être ne s'est pas rendu compte que ce médicament contenait de la cocaïne. Il a utilisé le thé comme cela se fait beaucoup à Cuba, et aussi au Brésil, et apparemment ils ont manqué d'informations », a expliqué le docteur de Rose.

Coïncidence, le Britannique Linford Christie, trente-neuf ans, vainqueur du 100 m des Jeux olympiques de Barcelone, en 1992, contrôlé positif aux stéroïdes anabolisants le 13 février ( Le Monde du 4 août) et suspendu pour une durée de deux ans, avait été soupçonné de dopage, lors des JO de Séoul, en 1988, en même temps que le champion canadien Ben Johnson. Il avait été innocenté une fois admis le fait que son organisme avait réagi bizarrement à l'absorbtion d'un thé au ginseng avant la course. A l'époque, l'alibi avait fait sourire.

LES CUBAINS N'EN SAVENT RIEN

Dans le cas Sotomayor, le docteur de Rose, prévenant, a affirmé que « la possibilité d'une contamination n'était pas exclue ». De la contamination à la manipulation, le pas a été vite franchi par les responsables cubains présents à Winnipeg. « Nous sommes convaincus que notre athlète n'a pas pris cette substance, a déclaré Mario Granda, directeur de l'Institut de médecine sportive de Cuba et membre de l'Odepa, Nous pensons à une manipulation d'aliments ou d'autres choses qui ont facilité l'apparition de la substance. »

A La Havane, où Javier Sotomayor, recordman du monde, champion du monde (1993) et champion olympique (1992), est une idole, voire une légende, doublé d'un ambassadeur, on observait le silence. Aucun média officiel cubain n'a fait mention de la nouvelle et la télévision nationale qui retransmettait une partie des compétitions a gardé le silence sur le cas du champion. Là-bas, il sera bien difficile d'admettre que cet homme de 1,94 m et de 84 kilos, le seul athlète à avoir sauté vingt-trois fois au-dessus des 2,40 m, ait pu tricher. L'histoire de cet enfant rondouillard, portant des lunettes et des chaussures orthopédiques pour rectifier ses pieds plats, devenu champion à force de sacrifices, malgré l'intransigeante politique de boycottage des JO de Los Angeles (1984) et la litanie des blessures qui est le lot des champions, a valeur d'exemple.

Il sera encore bien plus difficile d'accepter l'idée que Javier Sotomayor ne participe pas aux championnats du monde de Séville (21-29 août), puisque la procédure disciplinaire que la Fédération internationale d'athlétisme (FIAA) ne manquera pas d'ouvrir au plus vite devrait le contraindre à renoncer au rendez-vous de l'année. Mercredi soir, en préambule, le président de la FIAA, l'Italien Primo Nebiolo, qui assistait, mercredi soir, au meeting Herculis de Monaco, s'est dit « choqué ». « Je ne peux pas comprendre, a-t-il confié. Je me sens mal pour lui. »

Michel Dalloni (avec AFP)

Le Monde daté du vendredi 6 août 1999

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