L'affaire de dopage de Perpignan révèle un important trafic de corticoïdes



Selon la justice, les coureurs cyclistes impliqués sont devenus « toxicomanes » Le juge d'instruction Francis Boyer, en charge de l'affaire de trafic de produits dopants dite « de Perpignan », qui a commencé le 29 février, à la suite d'un simple contrôle de gendarmerie, a déjà procédé à la mise en examen de dix-sept personnes, dont de nombreux coureurs - retirés ou en activité -, deux pharmaciens et un médecin. Vendredi 21 avril, le magistrat devait procéder à la première confrontation.

« NOUS SOMMES CONFRONTÉS à de jeunes sportifs qui ont commencé à prendre des produits pour améliorer leur performance et qui ont ensuite plongé dans l'accoutumance. Cela n'a plus rien à voir avec du dopage : ce sont des toxicomanes. Cette affaire ressemble à une affaire de stupéfiants, avec son réseau de consommateurs-dealers. » Pierre Sennès, procureur adjoint au parquet de Perpignan (Pyrénées-Orientales), dresse ainsi le portrait-type des coureurs en activité ou retirés des pelotons récemment mis en cause dans l'instruction menée de Narbonne (Aude) à Lyon (Rhône), par le juge Francis Boyer ( Le Monde des 7 et 15 avril).

En l'espace de trois semaines, dix-sept personnes soupçonnées « d'usage, d'acquisition, de cession et de détention de produits stupéfiants » ont été mises en examen, et onze d'entre elles sont toujours derrière les barreaux : des coureurs - retirés ou en activité -, mais aussi deux pharmaciens et un médecin, chez qui les gendarmes de la brigade de recherche de Céret (Pyrénées-Orientales) vont perquisitionner.

Des fausses ordonnances, des flacons contenant un cocktail de substances illicites - le fameux « pot belge » -, une quarantaine de boîtes d'érythropoïétine (EPO) de la marque Eprex, des boîtes de Solucadron, de Pantestone, de Célestène ou de Finedal - médicaments à base de corticoïdes qui figurent toujours en bonne place dans la panoplie des adeptes du dopage -, des « passeurs » qui faisaient le voyage entre la France, la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse... A l'instar d'une autre affaire instruite à Poitiers depuis juin 1998 et qui a provoqué la mise en examen de 44 personnes toutes issues du milieu cycliste, l'enquête de Perpignan démontre à quel point, en matière de dopage, la frontière entre peloton amateur et peloton professionnel s'avère perméable.

Comme l'affaire Festina, amorcée le 8 juillet 1998 au détour d'une route départementale du nord de la France, l'affaire de Perpignan démarre au bord d'une voie frontalière. Mais cette fois dans le sud, à deux pas de l'Espagne. Le 29 février, Eric Martin et Grégory Delfour, coureurs cyclistes du Vélo Club de Narbonne, filent à bord d'un véhicule en direction du Perthus lorsque, vers 14 heures, ils s'arrêtent sur le bas-côté de la N9, dans la localité de Pollestres (Pyrénées-Orientales), le temps de s'injecter une dose de « pot belge ». Un geste qui intrigue des gendarmes en patrouille qui décident de procéder à un contrôle. Le restant de la dose saisie est envoyé par les enquêteurs à un laboratoire d'expertise. Résultat, trois semaines plus tard : mixture d'amphétamines et de sérum physiologique.

Convoqués à la gendarmerie de Céret (Pyrénées-Orientales) le 30 mars, les deux athlètes sont placés en garde à vue, mis en examen et soumis au contrôle judiciaire. Ils livrent aux enquêteurs le récit de leurs pratiques. Alerté, le parquet de Perpignan procède à l'ouverture d'une information et confie au juge Francis Boyer l'instruction de ce dossier qui deviendra « l'affaire de Perpignan ».

Le 31 mars, un troisième cycliste, Frédéric Nolla, trente-neuf ans, licencié lui aussi au VC Narbonne, dénoncé par ses deux coéquipiers, est interpellé à son domicile d'Agde (Hérault). Dirigeant d'une entreprise de peinture, il se rend souvent à Lyon pour acheter les produits interdits. Mis en examen et incarcéré à la maison d'arrêt de Perpignan, il enrichit le dossier de nouveaux renseignements. Dès lors, le juge Francis Boyer engage une course qui, du Languedoc-Roussillon à la vallée du Rhône, le conduit à auditionner témoins et suspects, au fur et à mesure des aveux obtenus durant les gardes à vue qui se succèdent.

FILIÈRES DÉVOILÉES

Aux premiers jours d'avril, les confidences de Frédéric Nolla déplacent l'enquête vers la région lyonnaise, permettant l'arrestation de deux anciens coureurs professionnels reconvertis en pourvoyeurs, Thierry Laurent (ex-Festina) et Jérôme Laveur-Pedoux (ex-Home Market). Interrogés, ils dévoilent les secrets de leurs filières - elles remontent jusqu'au Pays-Bas et passent par la Belgique - et lâchent des noms.

Le 10 avril, les recherches se poursuivent dans les départements de l'Isère et de la Drôme. Les gendarmes s'intéressent à quatre nouveaux coureurs, dont un autre ancien professionnel. Eric Magnin, trente-trois ans, vice-champion du monde sur piste en 1993, est à son tour présenté au juge. Deux jours plus tard, c'est un ex-cycliste amateur de Bourgoin-Jallieu (Isère), électricien au chômage, Camille Corcetti, qui se voit placer en garde à vue, puis un médecin de Saint-Just-Chaleyssin (Isère), Yves Faure, et un pharmacien de Saint-Jean-de-Bournay (Isère), Bernard Delage. Tous sont mis en examen. Seul Yves Faure, soumis à un contrôle judiciaire, ne va pas en prison.

Les jours qui suivent ramènent les enquêteurs dans le Languedoc, où les investigations continuent sur un mode bien huilé : perquisition, garde à vue, mise en examen, détention. Vendredi 21 avril, le juge devait procéder à une première confrontation des acteurs de ce trafic réunissant des jeunes gens pris dans le fléau du dopage, d'anciens coureurs ayant sombré dans la toxicomanie et des prescripteurs, comme un instantané de l'état du sport cycliste en l'an 2000.

Y. B.

17 mises en examen


Grégory Delfour et Eric Martin, coureurs amateurs du VC Narbonne, à l'origine de l'affaire, ont été interpellés le 29 mars et mis en examen le 30 mars. Placés trois jours en détention, ils sont très vite relâchés et soumis à un contrôle judiciaire. Frédéric Nolla (VC Narbonne) a été mis en examen le 31 mars, et est incarcéré depuis. Début avril, le juge Francis Boyer a prononcé quatre autres mises en examen et trois incarcérations : celles de Christophe et Frédéric Morel, Jérôme Laveur-Pedoux et Thierry Laurent, coureurs ou anciens coureurs. Jacky Blain, marchand de cycles à Villeurbanne (Rhône), est également appréhendé. Un nouveau coup de filet dans la région Rhône-Alpes permet l'arrestation de quatre autres coureurs, d'un pharmacien et d'un médecin : Eric Magnin, ancien professionnel, Jean-Paul Gauthier, Ghislain Marty, Camilo Corcetti, Bertrand Delage et Yves Faure. Enfin, jeudi 20 avril, deux nouveaux coureurs et un marchand de cycles ont été à leur tour mis en examen.

Le Monde daté du samedi 22 avril 2000