La sprinteuse Merlene Ottey a subi un contrôle positif à la nandrolone



Alors que les Championnats du monde d'athlétisme débutent, vendredi 20 août à Séville, la Jamaïquaine a révélé la nouvelle elle-même et a annoncé son forfait. Après une brillante carrière longue de vingt années, l'image de l'athlète la plus médaillée de son sport est ternie


Merlene Ottey ne viendra pas à Séville. La sculpturale sprinteuse jamaïcaine, âgée de trente-neuf ans, l'a fait savoir, mercredi 18 août, dans un communiqué. Anticipant d'éventuelles indiscrétions, son agent a déclaré qu'elle renonçait à la suite d'un contrôle antidopage positif à la nandrolone effectué le 5 juillet au meeting de Lucerne (Suisse). Pourtant, le laboratoire de Lausanne n'a pas encore procédé à la contre-expertise, donc la Fédération internationale d'athlétisme amateur (IAAF), qui a fait prévenir l'athlète, dimanche 15 août, n'a émis aucune interdiction.

Interrogé, mercredi, par l'agence Associated Press, un membre jamaïcain du congrès de l'IAAF en perdait son latin. S'insurgeant déjà contre le non-respect de la confidentialité, il dénonçait une « parodie de justice », alors que la championne a pris elle-même les devants.

LA REINE MAUDITE DU SPRINT C'est que, à la Jamaïque comme sur les stades du monde entier, Merlene Ottey n'est pas la première venue. Elle est l'héroïne d'une de ces histoires dont le sport raffole. Quatrième d'une famille de sept enfants, c'est une travailleuse qui voit dans l'athlétisme un moyen d'échapper à l'avenir tout tracé des femmes de sa famille - « toutes infirmières ou institutrices » -, et la possibilité de décrocher une bourse sportive pour étudier aux Etats-Unis.

Après les hivers glacials à l'Université du Nebraska et le mal du pays, Ottey devient, malgré elle, la reine maudite du sprint mondial. Toujours placée, rarement gagnante, elle tient le public en haleine depuis les Jeux olympiques de Moscou en 1980. Elle ferraille avec la grande blonde, l'Allemande Katrine Krabbe convaincue plus tard de dopage, subit la loi des Américaines, Florence Griffith-Joyner, Gwen Torrence ou Gail Devers.

« C'est vrai, j'aurais pu gagner plus de médailles d'or ou un titre olympique, nous déclarait-elle au meeting d'Hechtel (Belgique) samedi 7 août , mais ce qui compte, c'est que le public et moi sachions que les Allemandes de l'Est se dopaient. Je suis pour tous les types de contrôle [urinaires ou sanguins], on devrait en faire plus. »

D'autres fois, comme en 1995 au mondial de Göteborg sur 100 m ou en 1996 aux Jeux olympiques d'Atlanta sur 200 m, Merlene perd l'or sur le fil. Au Mondial d'Athènes, visage fermé, oeil noir, elle veut tant sa victoire qu'elle s'élance jusqu'à mi-parcours dans la finale du 100 m, sourde au rappel du starter. Elle termine 7e sur 8. Elle prétend « positiver » toutes ces mésaventures. « Il n'y a qu'une médaille d'or à gagner. Alors une médaille, quel qu'en soit le métal, c'est déjà une chance, et moi, j'en ai gagné plus que bien d'autres. »

C'est vrai. Son destin est lié à jamais à l'aventure des championnats du monde dont elle aurait été la doyenne à Séville. Elle a participé à toutes les éditions depuis leur création en 1983, en y remportant le nombre record de 14 médailles dont 3 d'or (relais 4 x 100 m en 1991, 200 m en 1993 et 1995), 4 d'argent et 7 de bronze. Plusieurs fois déjà, elle a annoncé sa retraite sportive, sans jamais pouvoir s'y résoudre. « La dernière fois, j'ai continué parce que j'ai battu mon record personnel (10 s 74 au 100 m en 1996) », protestait-elle à Hechtel. Mais aujourd'hui, à trente-neuf ans, qu'est-ce qui la fait encore courir ?

Même si elle ressasse que « les nouveaux noms ne courent pas plus vite [qu'elle] , et qu'ils ne font pas tout dans les meetings », elle a boudé le 200 m au programme des réunions les plus relevées cette saison. Les accords financiers que lui ont proposés, contre un 100 m, certains organisateurs ne la satisfont plus. Les théâtres de ses exploits deviennent peu à peu plus modestes. « Marion Jones ne gagnera plus avec deux mètres d'avance, jurait-elle pourtant à Hechtel. Je sais courir vite, je peux la battre avant la fin de la saison. »

Mais elle avouait dans le même souffle ne s'aligner que sur 100 m à Séville, « parce que les tours préliminaires du 200 m finissent par m'asphyxier ». Elle disait encore qu'elle avait repris un entraîneur, le Slovène Srdjan Djordjevic, pour l'aider par ses conseils à se préserver de blessures physiques que son mental ne supporte plus.

Dans le même temps, elle assurait que son âge lui « procure une motivation supplémentaire », que si elle avait remporté plus de titres, elle aurait raccroché, sans pouvoir s'enorgueillir d'une telle longévité athlétique. Mais les années qui s'enfuient pourraient bien être à l'origine des soucis de Merlene Ottey.

Selon Jacques de Ceaurriz, directeur du laboratoire de contrôle antidopage de Châtenay-Malabry, « la nandrolone est le produit typiquement utilisé par les athlètes cherchant à prolonger leur carrière ou se trouvant sur la touche pour cause de blessure ». La contre-expertise pourrait bientôt livrer son verdict. Si Ottey la demande à l'IAAF - qui pourra ainsi l'obtenir du laboratoire de Lausanne - avant le 5 octobre, comme l'exige le règlement. En attendant, pourquoi arguer d'une fierté bizarrement placée pour ne pas courir à Séville ? Pourquoi brouiller les pistes en proposant de se soumettre séance tenante, sous la direction de la Fédération jamaïcaine, à un nouveau contrôle dont la championne sait pertinemment qu'il sera sans valeur, puisque seul le deuxième échantillon d'urine prélevé à Lucerne compte dans le cas présent ?

VINGT ANS D'OLYMPISME Merlene Ottey a participé à sa première compétition internationale à l'âge de quatorze ans. L'athlétisme est toute sa vie. Alors, elle proteste de son innocence avec des mots qu'on récite la main sur le coeur : « J'ai toujours vécu dans la plus grande honnêteté et intégrité. J'ai toujours respecté une éthique irréprochable. (...) Je me suis toujours vigoureusement prononcée contre l'utilisation de produits interdits. (...) Je dois à ma famille, à mon pays, à mon sport bien-aimé et à mes supporteurs autour du monde la preuve que ceci est une terrible erreur et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour découvrir la vérité et prouver mon innocence. »

Séville aurait dû être un peu sa fête, la répétition générale de la « dernière » d'un péplum athlétique où elle tient depuis longtemps un des rôles principaux, et qu'on aurait donné en septembre 2000, dans le stade olympique de Sydney (Australie). Elle y aurait tiré sa révérence, « après vingt années d'olympisme ». Peut-être a-t-elle brisé son propre rêve. Pour l'heure, elle seule le sait.

P. Jo.

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