La révélation d'une série de cas positifs à la nandrolone intrigue et divise les scientifiques. Certains campent sur leur position de fermeté. D'autres doutent ouvertement de la fiabilité des contrôles. Avec comme enjeu de ce débat, l'honneur perdu de six athlètes.



La nandrolone était tout sauf une inconnue pour les commissaires de la lutte antidopage. Dérivée de l'hormone mâle ou testostérone, il s'agit d'un anabolisant destiné à augmenter considérablement l'assimilation des protéines de l'alimentation (viande, poisson et oeufs).
Mis sur le marché des médicaments français en 1959, on la recommande sous forme d'esters (propionate, décanoate...), notamment dans le traitement des grands brûlés, dans les états de dénutrition, la chirurgie lourde et, depuis peu, en traitement adjuvant de certaines ostéoporoses.
Vite détournée de ses indications thérapeutiques, elle compte aussi parmi les six androgènes les plus utilisés au monde dans les milieux sportifs. Une cure prolongée de plusieurs semaines permet de gagner rapidement du muscle. Et il ne s'agit pas que de cela. La nandrolone procure aussi toute une série d'avantages au niveau psychique comme l'amélioration de la confiance en soi ou l'exacerbation de l'agréssivité. On lui prête aussi d'atténuer les douleurs articulaires liées à un entraînement intensif, en particulier dans les épaules, les coudes ou les genoux.
Enfin, elle est peu virilisante, ce qui intéressera surtout les femmes, et n'entraîne guère de toxicité hépatique. Tout cela explique que la nandrolone fasse l'objet d'un marché noir florissant. On se la procure aux environs de 100 - 150 frs les 200 milligrammes, en provenance des pays-bas ou de la Grèce. En novembre 1997, les douanes ont saisi plusieurs centaines d'ampoules sur l'autoroute A4 en Moselle.
Toutefois le produit une kyrielle d'effets désagréables : fatigue cardiaque, changement dans la composition du sang, hypertension artérielle, baisse de la fertilité, troubles comportementaux, gynécomastie, rétention d'eau, maux de tête, acné, bref la symptomatologie classique de la prise de stéroides anabolisants. L'énoncé de ces troubles suffirait à dissuader n'importe qui. Malheureusement, on sait que cela joue peu dans l'imaginaire du sportif face aux enjeux de la compétition.
Reste alors le second gros défaut de la nandrolone pour l'aspirant dopé : sa très grande facilité à être détectée dans les urines lors du contrôle antidopage. On estime en effet que le produit reste visible durant 6 à 8 mois après une cure sous forme injectable. Et même si cette période à risque est nettement raccourcie avec un traitement à base de comprimés ou de poudre, l'issue d'un contrôle reste trop aléatoire pour les vrais pro de la dope qui l'ont progressivement abandonnée en des mains moins expertes.
Rappelons qu'en France, la première victime des test fut le cycliste hollandais Joop Zoetemelk lors du tour 1979. Ensuite, au jeux de Los Angeles en 1984, neuf des douze cas positifs le furent à la nandrolone. Depuis lors, elle faisait encore des apparitions sporadiques dans les habitudes de dopage mais l'épidémie du mois d'octobre 97 a pris néanmoins tout le monde de court.
Coup sur coup, on apprenait ainsi les cas positifs de Djamel Bouras, champion olympique de judo (catégorie moins de 78 kg), de christophe Zuniga, handballeur du PSG et surtout de quatre footballeurs : Dominique Arribagé (toulouse fc), de Vincent Guérin (PSG), de Cyrille Pouget (Havre ac), d'Antoine Sibierski (Auxerre). Tous nient farouchement s'être dopés avec des accents touchants de sincérité. En soi, leur réaction est logique. un sportif positif est automatiquement considéré comme un tricheur et toutes ses performances antérieures paraissent soudain suspectes. Dans ces conditions, quel est le "saint-homme" qui vas avouer qu'il se dope délibérément ? Bien entendu, personne ! A partir de là, on aurait tendance à ne pas trop écouter leurs cris. D'un autre côté, l'histoire a retenu également quelques cas où des athlètes vraiment innocents se sont heurtés pendant des années au scepticisme ambiant. Alors comment faire la différence ? Le plus possible, il faut se rattacher aux faits ! Michel Denisot, président délégué du PSG, résume bien l'ambiguïté de la situation actuelle : "je m'interroge, dit-il. Car il n'est pas possible qu'une subite épidémie tombe d'un seul coup sur le football."
Et de fait. Le recul des années permet de s'apercevoir qu'à chaque révélation en série, une "nouvelle donne" avait été introduite dans la lutte antidopage. Généralement, il s'agit d'un changement d'appareils ou de techniques d'analyse qui permettait d'identifier des substances prohibées jusqu'alors indécelables. On peut aussi imaginer que des normes plus sévères aient été adoptées ou que l'on fasse preuve de plus de rigueur lors du contrôle. Se retrouve-t-on dans l'un ou l'autre de ces cas de figure ? Apparemment, les avis sont contradictoires. Ainsi, Jean Poczobut, ancien président de la fédération Française d'Athlétisme et aujourd'hui chargé de mission au ministère de la jeunesse et des sports, explique cette poussée conjoncturelle par deux raisons : "Il y a d'abord une intensification des contrôles et, ensuite, une amélioration technique au niveau de l'analyse des substances lourdes car, désormais, on peut remonter plus loin dans le temps la prise de certains produits."
De son côté, Jacques de Ceaurriz, le directeur du laboratoire de châtenay-malabry dans les hauts-de-seine, réfute catégoriquement un quelconque changement des règles du jeu : "c'est faux. Il existe effectivement une demande du CIO pour abaisser les seuils de détection. Mais ceci n'est pas encore effectif. Nos récents contrôles se sont donc déroulés dans les mêmes conditions que les précedents. En revanche, je peux déjà vous prévenir que d'ici au mois de juin, nous allons baisser les seuils de détection de manière significative." Selon lui, donc, rien n'aurait changé. Pourtant, plusieurs indices laissent penser le contraire. Ainsi le CIO impose aux laboratoires accrédités par ses services des analyses de plus en plus sophistiquées. Or, les tests pour obtenir la réaccréditation pour 98 ont été effectués il y a quelques semaines, c'est à dire à la même période où les cinq cas à la nandrolone ont été enregistrés. Faut-il y voir une relation de cause à effet ?
Sur le fond, on ne peut que se réjouir d'une avancée technologique. Du moins si elle permet de débusquer les coupables. Dans le mêmes temps, il faut s'assurer aussi qu'elle ne condamne pas des innocents et qu'elle respecte le principe de précaution adopté par tous les scientifiques sérieux : "Utiliser le doute systématique comme mode de raisonnement." En l'occurrence, est-on sûr qu'en abaissant de façon considérable le seuil de sensibilité, on ne va pas mesurer des artefacts ? N'oublions pas que nous sommes aux prises avec des doses de l'ordre du nanogramme, c'est à dire du millionième de milligramme.
Se pourrait-il que des analyses si fines révèlent une présence naturelle de nandrolone dans l'organisme ? L'hypothèse n'est pas aussi saugrenue qu'elle peut le paraître au premier abord. On sait en effet que la nandrolone existe à l'état naturel chez plusieurs espèces animales. On peut la détecter dans les urines de mouton durant les 4 premiers mois de gestation, en trés faible quantité et avec une configuration spatiale modifié (épinandrolone).
Et chez l'homme ? d'innombrables études n'ont pas encore permis de se faire un avis tranché. La plupart n'ont rien démontré du tout. D'autres si. Mais on leur reproche de n'avoir porté que sur des groupes restreints de sujets. Il reste donc un doute que reconnaît d'ailleurs une note technique de la commission "dopage et biochimie du sport" du CIO.
A la lecture d'un rapport de réunion datant de mars 1996 et regroupant les experts de la commission ainsi que les chefs de laboratoires officiels, on s'aperçoit que la question fut longuement débattue. Le rapport précise même en toutes lettres qu'avec la mise en place de "techniques plus sensibles d'analyse des stéroides anabolisants, il était possible de détecter des petites quantités endogènes de stéroides anabolisants".
Pour ces spécialistes, le passage des "jumelles de théâtre au télescope haute performance" risquait bien de mettre en évidence une sécrétion naturelle de nandrolone que l'on n'avait pas suspecté chez l'homme.
Face à cette nouvelle donne, la commission émettait les recommandations suivantes : "pour les agents anabolisants nandrolone, la possibilité d'établir une limite décisive est d'approximativement 1à 2 ng/ml. Des niveaux inférieurs ne devraient pas être considérés comme un dopage potentiel. Lorsque les laboratoires trouvent une concentration inférieure à 5-10 ng/ml de tout agent anabolisant, il apparaît important pour l'interprétation des résultats, ainsi que pour la comparaison avec des analyses antérieures du même joueur, qu'il soit précisé dans le rapport d'expertise qu'une faible concentration a été décelée en indiquant la technique utilisée."
Ce document est une bombe. Car il laisse la porte ouverte à toutes les interprétations. D'autant que tous les athlètes incriminés se trouvent précisément dans cette fourchette entre 5 et 10 ng/l.
Cela signifie-t-il que les six athlètes sont complètement inocents ? Honnêtement, il est impossible de le dire. D'autant que d'autres paramètres sont susceptibles d'interférer avec ces mesures. Une déshydratation importante produit peut-être ce type de perturbation, voire certains médicaments... ou d'autres produits dopants ! aussi, il serait mal venu d'absoudre totalement ces champions sans avoir une connaissance précise et certaine de toutes leurs habitudes pharmacologiques. Mais à l'évidence, il paraît aujourd'hui hasardeux de sanctionner ces cas "faiblement" positifs, quitte à prévoir comme pour les chevaux un seuil de tolérance. Bien sûr, cela implique d'initier une étude sur une population conséquente de sportifs, ce qui coûte beaucoup d'argent. Or on peut avoir des doutes sur la volonté des responsables français de faire toute la lumière sur la piste d'une sécrétion endogène de nandrolone lorsqu'on sait que l'un d'eux, interrogé sur l'urgence d'une telle recherche, l'a repoussée en répondant : "ce n'est pas ma priorité" ! On n'est pas sorti de la nandrolone.


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