Un contrôle positif a troublé les dirigeants français aux JO de Sydney
Afin de protéger l'image du pays "champion de la lutte antidopage", les responsables de la délégation olympique ont décidé de ne pas révéler un contrôle positif concernant une handballeuse tricolore, qui a été relaxée après les Jeux

LE MOUVEMENT SPORTIF français a-t-il volontairement passé sous silence un cas de contrôle positif pendant les Jeux olympiques de Sydney? L'affaire, à l'époque, avait été jugée suffisamment sérieuse pour exiger un "silence absolu" de la part des personnes concernées. Sept mois plus tard, des indiscrétions circulant dans le microcosme du handball français permettent de raconter le parcours de cette joueuse dont Le Monde a choisi de protéger l'anonymat. Bien qu'elle ait subi un contrôle positif avant le début des JO, elle a participé au début du tournoi olympique avant d'être écartée de l'équipe, puis relaxée, plus tard, par sa Fédération.
L'histoire commence le 12 juillet 2000, à Font-Romeu (Pyrénées- Orientales), où l'équipe de France féminine de handball poursuit sa préparation. Mandatés par le ministère de la jeunesse et des sports, des médecins effectuent, ce jour-là, des tests antidopage inopinés, ainsi que le prévoit un vaste programme de contrôle concernant tous les athlètes devant participer aux Jeux. Les règles sont connues: quiconque serait déclaré "positif" avant les Jeux ne partira pas en Australie, ainsi qu'en a décidé la Commission nationale du sport de haut niveau. Les échantillons des handballeuses sont envoyés au Laboratoire national de dépistage du dopage de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Celui-ci croule alors sous les analyses et connaît des lenteurs de fonctionnement en raison de travaux.
Lorsque les résultats de l'équipe de France féminine de handball sont connus, le 18 septembre, les Jeux olympiques ont commencé depuis trois jours. Problème: l'une des joueuses a été contrôlée positive à l'heptaminol, produit figurant sur toutes les listes de substances interdites. Conformément à la loi, le laboratoire de Châtenay-Malabry met au courant, par courrier, la Fédération française de handball (FFHB) et le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD). Transmise jusqu'à Sydney, l'information fait l'effet d'une bombe au sein des responsables de la délégation olympique française. La joueuse a participé au match contre la Hongrie, "heureusement" perdu par les Bleues (23-22).
Un médecin lui fait alors passer des tests cliniques à son insu et lui demande, à plusieurs reprises, quels médicaments elle a pris ces dernières semaines. La joueuse ne comprend pas pourquoi, en pleine compétition, on la soumet à cet examen en forme d'interrogatoire.

COMITÉ RESTREINT

Le médecin recoupe ses informations et arrive à une conclusion: du Ginkor Fort, un veinotonique contenant de l'heptaminol, lui aurait été prescrit, par erreur, avant les Jeux. La sportive paraît innocente, mais comment démontrer sa "non-responsabilité", vu qu'elle ne s'est jamais trouvée dans la position de s'expliquer devant un jury indépendant?
Le 20 septembre, au Club France, l'affaire est évoquée en comité restreint. Participent à cette réunion la ministre de la jeunesse et des sports, Marie-George Buffet, le président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), Henri Sérandour, et le président de la FFHB, André Amiel. Le débat est contradictoire. Plusieurs voix s'élèvent pour réclamer qu'on renvoie la joueuse en France. André Amiel monte au créneau et rejette la responsabilité de cette affaire sur le ministère: si le laboratoire de Châtenay-Malabry avait respecté les délais, jamais la FFHB n'aurait sélectionné la jeune femme.
L'embarras de Marie-George Buffet est palpable. Les Jeux de Sydney sont en effet placés sous le signe de la lutte contre le dopage. Pas moins de onze athlètes de différentes nationalités ayant subi des tests positifs avant les Jeux, dans le cadre du programme de l'Agence mondiale antidopage (AMA), se verront retirer leur accréditation durant la quinzaine. Même si les produits décelés chez ces athlètes (stéroïdes, diurétiques) ne sont pas comparables au stimulant utilisé par la handballeuse française, le risque de confusion est important. Mettre la sportive dans le premier avion pour Paris aurait un effet désastreux pour la France, figure de proue de la lutte contre le dopage. Une décision est prise: ne pas renvoyer la sportive, mais ne plus la faire jouer. Elle continuera donc à s'entraîner comme si de rien n'était, continuera de croire qu'elle peut être al! ignée, mais ne figurera plus sur aucune feuille de match.
Les Jeux s'achèvent. L'équipe de France termine à la sixième place du tournoi. Ce n'est qu'en rentrant chez elle que la jeune femme apprend qu'elle a été positive. On lui recommande de monter un dossier pour se défendre devant la commission de discipline de sa fédération. Elle rassemble les preuves de son innocence, notamment cette prescription médicale délivrée par erreur par un diététicien de la Pitié-Salpêtrière. Le 21 novembre, la FFHB la relaxe. L'honneur est sauf: ce n'est donc pas un cas de dopage avéré que les instances du sport français ont étouffé pendant les Jeux de Sydney, "seulement" un contrôle positif ayant été classé sans suite.