Las et meurtri par les affaires de dopage, Daniel Baal quitte le vélo


Dans un entretien au « Monde », le président de la Fédération française de cyclisme (FFC) explique qu'il ne briguera pas, en mars 2001, un troisième mandat. Confronté depuis trois ans au scandale Festina et à ses suites, il entend désormais se consacrer à sa carrière professionnelle .
 
Mis à jour le samedi 9 décembre 2000

« Vous achevez votre deuxième mandat à la tête de la Fédération française de cyclisme (FFC). Serez-vous candidat, début 2001, à une nouvelle présidence ?

- Non. Pour une raison : le manque de temps. En juin 1999, après ma mise en examen et avant mon non-lieu dans l'affaire Festina, j'ai accepté un poste de directeur d'agence du Crédit mutuel à Mulhouse. Auparavant, j'avais une fonction de direction mais pas de premier plan. Je travaillais à 80 %. Il était déjà dur de concilier les deux. Depuis juin 1999, c'est pire. A la FFC, j'aurais aimé être plus disponible, pour parler, écouter. Depuis 1998, on ne travaille plus dans la sérénité et avec le recul nécessaire. Je ne fais plus bien ce que j'aurais à faire. Je ne voudrais pas me dire la même chose dans quelques mois pour mon travail. J'ai privilégié mon métier, parce que j'ai des perspectives intéressantes. Je préfère prendre cette décision plutôt que de repartir et ne pas bien faire les choses, voire faire des bêtises.

- Votre mise en examen - suivie d'un non-lieu -, la succession des affaires liées au dopage dans le cyclisme depuis 1998, le récent procès Festina où vous avez été cité à comparaître... tout cela vous a-t-il incité à ne pas vous représenter ?

- Je reste meurtri par le fait que l'on ait voulu faire porter la responsabilité du dopage aux instances. Mais j'aurais eu envie de poursuivre le combat entrepris. Il y a deux choses à faire. Intensifier la lutte dans nos structures et reconstruire l'image du cyclisme, car cela devient très dur d'être cycliste. J'ai reçu, il y a trois jours, une lettre d'un président de club qui me raconte qu'un de ses jeunes membres s'est fait traiter de »dopé« par ses camarades d'école...

- Envisagez-vous de garder un contact avec le milieu cycliste ?

- Je ne suis pas candidat pour rester au comité directeur de la FFC. Si mon successeur sollicite mon soutien, je suis disposé à le faire. Au plan international, j'aimerais garder une fonction à l'UCI. Travailler sur des sujets de fond.

- Considérez-vous, pour reprendre une expression que vous avez utilisée en 1999, que le cyclisme va « droit dans le mur » ?

- En 1998, on est allé droit dans le mur. On aurait dû éviter que cela se produise. Les instances n'ont pas été entendues. Je reste convaincu que l'on a mis les moyens. Malgré le chemin fait, je ne suis pas sûr que l'on soit sorti du problème. Certains n'ont toujours rien compris. Je crains que des sportifs, ou leur entourage, soient entrés dans une autre ère du dopage. Les recherches tournent autour de toutes les formes d'hémoglobine réticulée et de synthèse, dont on peut craindre qu'elles soient utilisées dans les sports d'endurance. Certains produits existent sur le marché sous forme vétérinaire. D'autres à usage humain sont en validation phase 3, c'est-à-dire utilisés dans les hôpitaux. Parallèlement, on n'a pas réglé le problème des hormones de croissance. Et nous avons été »baladés« sur le test de dépistage de l'EPO.

- Comment expliquez-vous que le cyclisme soit tellement touché par le dopage ? Y a-t-il une raison particulière ?

- D'abord, le dopage ne concerne pas que le cyclisme. D'autres sports sont également visés de manière inquiétante. Mais eux ont la chance de travailler dans la sérénité. Contrairement à nous, ils ne sont pas sous les feux de la rampe. Mais il est vrai, comme le docteur Patrick Laure l'a écrit, qu'il existe une »culture du dopage« dans le cyclisme. Sans le contredire, je lui répondrai tout de même qu'il existe également une culture de l'antidopage et qu'elle est plus forte que dans les autres sports. Tant au niveau national qu'au niveau international, il n'y a pas une fédération qui développe autant d'efforts dans la lutte contre le dopage : prenez le suivi longitudinal, la recherche des corticoïdes dans les urines et les mesures contre l'EPO... Mais pour essayer de comprendre, je crois qu'il faut observer la situation des coureurs. Ils évoluent dans un environnement fermé, dans une bulle. C'est vrai qu'à partir d'un certain niveau, ils sont sollicités pour essayer des produits. Ils sont pris dans un cercle où le dopage des autres génère le dopage de tous. Il faut être très fort pour résister dans un contexte pareil.

- Au sein de l'encadrement des équipes comme dans les instances dirigeantes du cyclisme, on trouve nombre d'anciens coureurs ayant été mêlés durant leur carrière à des affaires de dopage. Est-ce que cela n'affecte pas la crédibilité de votre action ?

- Des anciens sportifs qui occupent ensuite des fonctions de responsabilité dans leur discipline, c'est l'histoire du sport. Les hommes s'investissent dans les domaines qui les intéressent. Faut-il, au prétexte qu'à un moment donné de sa vie, un dirigeant a eu un comportement douteux, le rayer définitivement de toute fonction ? Non. Cela ne serait pas moral. On réinsère les criminels une fois leur peine purgée, pourquoi ne pas faire la même chose avec des sportifs qui ont fauté ? En plus, si on voulait »sortir« les dirigeants qui ont été confrontés de près ou de loin à des affaires de dopage, on décapiterait le cyclisme et on ne retrouverait pas ailleurs ces compétences.

- Pensez-vous qu'un jour viendra où le dopage sera définitivement éradiqué ?

- Je ne sais pas. Mais je sais que la compétition sportive est fondée sur des règles et qu'elles doivent être respectées. je sais aussi que, depuis trente-cinq ans, le cyclisme a mis en place des contrôles et que la course n'en finit pas : un produit chasse l'autre. Il n'y a pas de panacée. Lorsqu'en 1999, on a mis en place le suivi médical longitudinal, j'ai cru qu'on avait trouvé LA solution. Je me suis trompé. Ce contrôle sanitaire a vite montré ses limites puisque le secret médical contraint au silence. La lutte antidopage est un combat dans lequel il ne faut jamais baisser la garde. »

  Propos recueillis par Yves Bordenave et Philippe Le Coeur



Le Monde daté du dimanche 10 décembre 2000