« Ces Jeux ne sont ni plus sales ni plus propres que d'autres »


Docteur Alain Garnier, membre de l'Agence mondiale antidopage.


« En tant que représentant du Conseil de l'Europe au sein de l'Agence mondiale antidopage (AMA), vous avez été chargé, à Sydney, d'observer les contrôles effectués pendant les Jeux olympiques. Quel était l'objectif de cette mission ?
- Il s'agissait, d'abord, de protéger les droits des sportifs en vérifiant que les règles antidopage sont appliquées à tous et de la même façon. L'autre but était de réaliser une expertise du processus mis en place à Sydney afin d'établir un rapport dans lequel apparaîtront les aspects positifs et négatifs. L'une des missions de l'AMA est en effet, à terme, d'harmoniser et de coordonner les différentes politiques antidopage qui existent dans le monde.

- Qu'avez-vous retenu de ces deux semaines d'observation ?
- Cette mission nous a confortés dans l'idée qu'un organe indépendant en matière de lutte contre le dopage devait exister sur le plan mondial. Nous avons constaté des disparités entre les fédérations internationales sur les modes de sélection des sportifs à contrôler. Une grande liberté d'intervention est laissée aux fédérations sur le tirage au sort des sportifs contrôlés, en plus des trois premiers. Il est urgent de trouver un système unique. Par ailleurs, des athlètes ont confié n'avoir jamais été contrôlés de leur vie, ce qui est surprenant à ce niveau de l'élite mondiale.

Six athlètes, à ce jour, ont été exclus des Jeux pour avoir subi des contrôles positifs à la suite des épreuves olympiques. Quel bilan faites-vous des résultats obtenus ?
- Contrairement à ce qu'on a pu entendre ou lire ici et là, ces Jeux ne sont ni plus sales ni plus propres que les précédents. La présence d'observateurs indépendants dans le dispositif antidopage a certainement eu un impact qu'il reste difficile à mesurer à ce jour. Mais il a aussi produit un effet dissuasif en amont et personne ne pourra prétendre que des cas de dopage ont été cachés aux Jeux de Sydney.

- Les substances détectées, des stéroïdes anabolisants et des diurétiques, sont des produits traditionnels. Que cela vous inspire-t-il ?
- Il reste un énorme problème à résoudre : celui des produits indétectables, comme les hormones de croissance. Il y a aujourd'hui une grande inégalité dans la course au dopage entre les sportifs issus de pays riches et scientifiquement avancés et les sportifs de pays plus pauvres et ne disposant pas d'une telle capacité scientifique. Ces derniers, de fait, consomment des produits plus traditionnels, donc détectables. Des Jeux olympiques avec zéro cas positif ne sont pas, pour moi, des Jeux propres.

- Pour la première fois, l'érythropoïétine (EPO) a fait l'objet d'une détection grâce à deux méthodes appliquées en parallèle, l'une sur le sang, l'autre sur l'urine. Quelles conclusions en tirez-vous ?
- Il est encore trop tôt pour établir une évaluation scientifique, mais c'est sûrement un progrès significatif. Une question devra rapidement être soulevée : doit-on conserver ces deux méthodes ? Chacune présente des avantages, mais la méthode française sur l'urine est la seule à mettre en évidence la présence d'EPO. Appliquer les deux tests sur un même sportif est contraignant et cela est plus coûteux.

- Quel est le pouvoir d'intervention de l'AMA pour imposer à une fédération internationale d'appliquer tel dispositif antidopage sur une compétition donnée ?
- Tant qu'il n'existera pas un code unique réalisé par l'AMA, les fédérations pourront continuer à procéder selon leurs règles. Il en est de même avec les Etats. Si un pays décide d'interdire l'entrée d'un de nos médecins, l'AMA n'a aucun moyen pour l'imposer.

- Que préconisez-vous ?
- Il n'est pas question de donner une supranationalité à l'AMA, mais il faut que celle-ci puisse intervenir là où elle le souhaite. L'AMA doit obtenir les moyens financiers et juridiques des missions qui lui ont été confiées dans ses statuts. Une convention internationale reconnaissant l'existence et le rôle de l'AMA pourrait lui procurer une plus grande légitimité. »

Propos recueillis par Frédéric Potet, à Sydney