EPO : avec le nouveau dépistage, des coureurs des Tours 1998 et 1999 auraient été « positifs »



Une méthode qui marque une étape déterminante dans la lutte contre le dopage.


L'HEBDOMADAIRE scientifique britannique Nature publie dans son édition datée du 8 juin la méthode mise au point par deux chercheurs français - Françoise Lasne et Jacques de Ceaurriz (Laboratoire national de dépistage du dopage) - permettant, pour la première fois, d'établir à partir d'un simple échantillon urinaire la prise d'érythropoïétine (EPO) à des fins dopantes. Les chercheurs français avaient exposé il y a quelques jours à Genève (Suisse), devant les responsables du cyclisme international, les grandes lignes de ce travail qui marque une étape déterminante dans la lutte contre le dopage.

C'est en analysant la structure fine de molécules d'EPO présentes dans les urines que les auteurs de cette méthode peuvent conclure à la prise exogène de cette hormone naturellement fabriquée par des cellules du rein et qui a pour propriété d'augmenter le nombre des globules rouges et donc le volume d'oxygène transporté par le sang. Les EPO utilisées à des fins dopantes sont des médicaments, détournés de leur usage thérapeutique, qui sont produits par des techniques de manipulation génétique. Les procédés utilisés par les fabricants (production par des cellules ovariennes de hamster chinois) font que leur structure est légèrement différente de l'hormone produite par l'organisme. Les différences se situent au niveau des isoformes dans la fraction dite « glycosylée » de la molécule. La finesse de l'analyse mise au point par les chercheurs français est telle qu'ils parviennent à distinguer laquelle des deux marques d'EPO présentes sur le marché international (l'Eprex de chez Janssen-Cilag et le NeoRecormon de chez Roche) a été utilisée à des fins dopantes.

La démonstration de l'efficacité de la technique a d'abord été effectuée sur des urines de personnes souffrant d'insuffisance rénale et traitées par EPO. Elle a ensuite été confirmée, comme le détaille la publication de Nature, à partir d'analyses effectuées, ces derniers mois, sur 102 échantillons urinaires provenant de participants au Tour de France 1998 et conservés par congélation. « Nous démontrons aujourd'hui que notre technique est en pratique aisément applicable et peut être facilement utilisée dans le suivi médical des sportifs », a expliqué au Monde Jacques de Ceaurriz. Vingt-huit échantillons ont été trouvés porteurs de taux anormalement élevés d'EPO, et les analyses faites sur la moitié d'entre eux ont permis d'identifier la présence d'EPO exogène. « Nous n'avons pas travaillé sur les vingt-huit échantillons mais fait une présélection sur les échantillons pour illustrer notre méthode, souligne Jacques de Ceaurriz. Mais ceci ne signifie pas que le test n'est efficace que sur des taux élevés. Il est hautement vraisemblable que nous pourrions retrouver les traces d'une prise d'EPO sur un nombre élevé des 102 échantillons, peut-être même sur tous. »

Les chercheurs du laboratoire national ont, d'autre part, procédé à quelques examens sur des échantillons d'urine provenant de cyclistes ayant participé au Tour de France 1999 et ont, là encore, retrouvé des cas positifs. Ces examens ayant été pratiqués à distance de la compétition et la méthode n'étant pas alors scientifiquement validée, les résultats n'ont pu être pris en compte dans la lutte contre le dopage. Parallèlement à cette technique, qui devrait être mise en oeuvre lors du prochain Tour de France, les chercheurs français travaillent en collaboration avec une équipe australienne qui a mis au point un procédé de dépistage sanguin de différents paramètres moléculaires et biologiques permettant de définir un index de suspicion de prise récente ou plus ancienne (de l'ordre d'une dizaine de jours) d'EPO. Pour l'heure, la limite du procédé français tient au fait que, compte tenu des caractéristiques physiologiques de cette hormone, il ne permet de mettre en évidence que des prises remontant à deux ou trois jours.

DÉTOURNEMENT FACILITÉ Utilisée pour l'essentiel en médecine dans le traitement des anémies néonatales et des malades insuffisants rénaux, l'EPO voit son champ d'utilisation progressivement élargi aux anémies des malades cancéreux recevant des chimiothérapies aux conséquences anémiantes. Cette nouvelle situation pourrait, en France, conduire à un assouplissement des règles de distribution du médicament et, par là même, de faciliter son détournement. Des essais cliniques, enfin, sont actuellement menés à partir d'une nouvelle forme d'EPO dite « retard » qui permettrait de réduire le traitement à une injection par semaine, contre deux ou trois actuellement. Or la structure de l'EPO « retard » a, entre autres caractéristiques, celle d'être plus « glycosylée » que l'autre. A ce titre, elle devrait pouvoir sans grandes difficultés être identifiée dans les urines à partir du procédé mis au point en France.

Jean-Yves Nau

Le Monde daté du vendredi 9 juin 2000