Dopage : les instances cyclistes lancent la chasse à l'EPO



Une réunion multipartite, tenue à Genève (Suisse), a permis un accord en vue de la recherche de l'érytropoïétine (EPO), lors des contrôles antidopage. Le Tour de France (1er -23 juillet) pourrait être la première épreuve concernée par cette mesure

LE TEST de dépistage de l'érythropoéïtine (EPO) mis au point par le laboratoire national antidopage de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) pourrait être utilisé dès le départ du Tour de France, le 1er juillet, au Futuruscope de Poitiers (Vienne). Mais d'ici là les professeurs Jacques de Ceaurriz, directeur du laboratoire, et sa collaboratrice Françoise Lanne, qui, depuis deux ans mènent une recherche afin de déceler les traces d'apport exogène de la molécule dans les urines, devront valider leur méthode.
L'accord définitif de l'Union cycliste internationale (UCI) à l'introduction de ce nouveau système de contrôle est soumis à trois conditions impératives : la publication des travaux dans une revue scientifique renommée, la vérification de ladite méthode à partir d'une analyse en « double aveugle » de 220 échantillons et la nomination par le Comité international olympique (CIO) de trois experts indépendants qui devront étudier la fiabilité du test. Le laboratoire français a jusqu'au 20 juin pour satisfaire à cet ultime examen.
Hein Verbruggen, président de l'UCI, s'est toutefois montré optimiste. « Nous sommes sur la bonne voie, a-t-il indiqué. Cela dit, je ne vous cache pas non plus qu'il faut régler encore certains problèmes comme celui de la contre-expertise. Un seul laboratoire peut déceler l'EPO par cette méthode. Nous devons résoudre ce problème juridique. »
Jeudi 25 mai, dans un salon de l'aéroport de Genève, durant près de quatre heures les dirigeants de l'UCI et leurs conseillers scientifiques, la direction du Tour de France, les représentants des coureurs et des groupes sportifs, une délégation du ministère français de la jeunesse et des sports et les deux chercheurs ont rendu un avis du genre : « Doit faire ses preuves à l'examen. »

UN VÉRITABLE SUCCÈS

Reste qu'à l'issue de ce « sommet » des principaux acteurs de la famille cycliste, un accord précis est intervenu qui permet d'envisager la mise en ouvre prochaine de sanctions à l'encontre des consommateurs d'EPO. Pour cette raison, la date du 25 mai 2000 pourrait marquer l'histoire de ce sport.
Découverte au milieu des années 80, l'EPO de synthèse est apparue dans le cyclisme au tout début des années 90. Elle a connu un véritable succès au sein du peloton professionnel qui en a fait l'une des substances illicites les plus répandues. Il a fallu l'été 1998 , l'intervention de la police et l'affaire Festina pour que les instances nationales et internationale reconnaissent l'ampleur du fléau.
Mais ni la mise en place de contrôles sanguins, en 1997, capables de mesurer l'hématocrite dont l'augmentation anormale peut être considéré comme une preuve de recours à l'EPO, ni l'adoption d'un suivi médical longitudinal en 1999, n'ont jusque-là réussi à dissuader les athlètes d'utiliser ce produit. Les bilans biologiques réalisés au début de l'année 2000 sur les coureurs professionnels français révèlent même une recrudescence de la consommation.
Ce constat, pour le moins amer, faisait dire, jeudi, à Daniel Baal, président de la Fédération française de cyclisme (FFC) : « Si la méthode est validée d'ici au 20 juin, c'est formidable. Si c'était non, ce serait un gros espoir déçu… Je n'ai aucun doute sur sa fiabilité mais je me demande si l'on n'a pas été un peu trop optimiste avant cette réunion. »
C'est que la procédure employée à Genève présente un caractère exceptionnel. Même si l'exposé des deux chercheurs français a semblé convaincre, la méthode employée bouscule bien des règles du mouvement sportif. « Nous allons très loin, on ne peut attendre plus de l'UCI », remarquait Hein Verbruggen. « Le mouvement cycliste prend un certain risque pour obtenir cette validation car normalement le CIO demande plus », expliquait-il.
En la matière, l'instance olympique exige que les tests puissent être reproduits dans au moins deux laboratoires accrédités, avant de donner son approbation. Cette exigence n'est pas satisfaite avec l'EPO. Si un autre laboratoire, celui de Melbourne, en Australie, cherche également à détecter le produit, ses travaux concernent le sang et n'entrent donc pas dans le schéma retenu par le CIO. Si l'EPO demeure au centre des préoccupations des dirigeants cyclistes, elle n'est pas tant s'en faut l'unique substance dopante en usage au sein du peloton. Aussi, les participants à la rencontre de Genève ont décidé de procéder, à l'occasion du Tour de France, à la recherche systématique des corticoïdes. Une expérience menée sur la Grande Boucle 1999 avait révélé une consommation relativement importante de ces substances chez les coureurs, parmi lesquels l'Américain Lance Amstrong, vainqueur à Paris.
Soumis à certaines restrictions, ces produits peuvent parfois être admis sur présentation préalable de prescriptions médicales. « Pour éviter les abus, l'UCI a introduit depuis janvier des livrets de santé dans lesquels les coureurs doivent signaler tous les médicaments pris, a indiqué Hein Verbruggen. » Loin d'être l'apanage des seuls coureurs cyclistes, la prise d'EPO intéresse toutes les disciplines à effort prolongé. Son utilisation est également répandue auprès des coureurs de fond et de demi-fond, des nageurs ou des skieurs de fond. Bien évidemment, si le test proposé par l'équipe de Châtenay-Malabry était reconnu valable par l'UCI et appliqué sur le Tour de France, le monde cycliste comprendrait difficilement qu'un régime différent soit adopté pour les Jeux olympiques de Sydney. Las. Jacques Rogge, vice-président de la commission médicale du CIO, a fait preuve de circonspection : « Je suis presque certain que nous disposerons à l'avenir d'un test d'EPO et j'espère qu'il sera prêt pour Sydney. Mais les probabilités ne sont qu'à 50-50 en raison de la longueur du processsus de validation par la communauté scientifique. »


Yves Bordenave