Dopage : un tiers du peloton professionnel français continuerait d'utiliser l'EPO


60 cyclistes professionnels français sur 177, soit 33,9 %, peuvent être suspectés d'avoir recours à des stimulateurs de la fabrication de globules rouges (EPO).

BONNE NOUVELLE : on peut aujourd'hui supposer que deux tiers des cyclistes professionnels français n'auraient plus recours à des produits stimulants l'érythropoïèse, c'est-à-dire principalement à l'érythropoïétine (EPO). Revers de la médaille : cela signifie qu'un tiers d'entre eux auraient encore recours à cette même EPO.

A quarante-cinq jours du départ du Tour de France, voilà qui ne va pas contribuer à redorer le blason d'un milieu, qui, depuis le début de la saison, n'a guère donné de signes tangibles d'une inversion de tendance quant à ses « pratiques pharmaceutiques ». Au contraire, la persistance des dérives au sein d'équipes étrangères a été dénoncée dès les premières « classiques » de printemps par certaines équipes françaises. « Nous ne sommes pas sur la même longueur d'onde », assure ainsi Gérard Guillaume, médecin de La Française des jeux.

« Il existe une recrudescence des anomalies de l'érythropoïèse » chez les Français, a malgré tout tenu à prévenir, début mai, Daniel Baal, le président de la Fédération française de cyclisme (FFC), qui a toutefois refusé de chiffrer la proportion de coureurs présentant ce type d'anomalies. « Je n'ai pas envie de repartir dans le même schéma que l'an dernier », a-t-il expliqué pour justifier le maintien du silence institué par la FFC depuis début 2000 sur les leçons tirées du suivi médical. En 1999, la révélation de l'ampleur des problèmes de santé du peloton national - en février, puis en mai - avait provoqué la colère de celui-ci.

« Cela reste évidemment une minorité », a tout juste précisé Daniel Baal à propos des coureurs soupçonnés de continuer à utiliser des produits facilitant l'oxygénation du sang. La compilation réalisée par la commission nationale médicale de la FFC à partir des résultats des premiers bilans biologiques, effectués début 2000, fait apparaître que 60 cyclistes professionnels sur un total de 177 (soit 33,9 %) peuvent être suspectés d'avoir eu recours à des stimulateurs de la fabrication de globules rouges, principalement l'EPO.

PAS D'« ARRÊT DE TRAVAIL » A titre de comparaison, les bilans sanguins réalisés en juin 1999, au moment des championnats de France sur route, avaient fait apparaître que 26,3 % des coureurs professionnels pouvaient être suspectés d'avoir recours à ce type de produit.

Pour autant, à l'issue des bilans sanguins réalisés au début de cette année, aucun coureur ne se serait vu prescrire un « arrêt de travail ». Motif : aucun d'entre eux n'aurait présenté un hématocrite (taux de globules rouges dans le sang) supérieur à la limite tolérée de 50 %. La moitié des coureurs considérés comme « suspects » présentent néanmoins un hématocrite supérieur à 47 %, seuil jugé critique par les autorités françaises du cyclisme, l'autre moitié se situant en deçà de ce taux.

« On voit mal quelqu'un qui triche venir faire les examens du suivi sans avoir pris des précautions », relève Gérard Guillaume. C'est en fait le recoupement avec d'autres paramètres qui trahit en fait le recours supposé à l'EPO : valeurs des réticulocytes (globules rouges jeunes) et des récepteurs solubles à la transferrine notamment.

Signe « positif » malgré tout dans ce bilan de début d'année 2000 : les taux de fer relevés chez les coureurs français ont baissé (les injections de fer sont pratiquées entre autres pour optimiser la prise d'EPO). Lors du tout premier bilan sanguin, début 1999, 51 % d'entre eux présentaient un niveau de fer supérieur à 350 microgrammes par millilitre, seuil au-delà duquel les autorités françaises considèrent qu'il faut être très attentif.

Les bilans réalisés début 2000 montrent que 28,8 % des cyclistes affichent encore un niveau de fer supérieur à ce seuil. La grosse majorité d'entre eux se situe entre 250 et 350. Par ailleurs, si en 1999 le taux maximal de fer relevé était de 1 646, les premiers bilans effectués un an plus tard indiquent que le taux maximal relevé culmine à 1 745.

« NOUS SOMMES IMPUISSANTS » Face à cette augmentation du nombre d'anomalies de comportement, Daniel Baal a d'ores et déjà donné un résumé assez abrupt et succinct de ce que la FFC est en mesure de faire : rien. « Nous sommes impuissants face à ceux qui ont fait le choix de continuer, a-t-il indiqué. Nous avons une richesse d'informations de plus en plus grande et un degré de certitude de plus en plus fort avec le suivi médical mais cela ne nous permet pas de dire : »Vous vous moquez de nous, nous vous suspendons.« Nous ne pouvons pas passer à la phase répressive. C'est la limite du suivi. »

Certaines voix commencent pourtant à s'élever pour demander, au minimum, la levée du secret médical, au motif que ce dernier ne serait qu'une forme de « complicité » envers ceux qui ont recours au dopage : sa mise en avant aurait surtout eu pour but de faire accepter la mise en place du suivi médical longitudinal aux plus réticents, c'est-à-dire à ceux qui avaient le plus à perdre car leur tricherie risquait d'être ainsi mise à jour.

« Nous souhaitons la dénonciation du secret médical dans la mesure où les athlètes n'ont rien à cacher, pour rendre crédibles ces contrôles [le suivi médical] et rendre à la transparence ses droits. » Voilà ce que réclamaient déjà, en août 1999, Gilles Delion et Jérôme Chiotti pour leur discipline, le VTT, dans une lettre commune qu'ils prévoyaient d'adresser à Daniel Baal.

Cette lettre, qu'ils voulaient faire signer par d'autres vététistes, n'avait certes jamais été postée. Elle a finalement été présentée, mercredi 10 mai, au président de la FFC par Antoine Vayer, l'entraîneur de Jérôme Chiotti, après que ce dernier a avoué ses propres dérives et dénoncé la persistance du dopage dans le milieu du VTT et du cyclisme en général.

Certaines voix s'élèvent par ailleurs, particulièrement au sein du corps médical, pour réclamer que l'examen des résultats du suivi médical soit confié à une commission indépendante des sponsors et des pouvoirs sportifs et disposant d'un véritable pouvoir de sanction. Car actuellement, comme le reconnaît Daniel Baal, c'est tout au plus à un travail de « persuasion » auprès des médecins des équipes où des coureurs présentent des anomalies, que peut se livrer Armand Mégret, le médecin fédéral.


Philippe Le Coeur