« Ecoute dopage » révèle le profond désarroi des sportifs anonymes



Créé le 24 novembre 1998, alors que les affaires battaient leur plein, le numéro vert (0-800-15-20-00) mis en place par le ministère de la jeunesse et des sports permet de dresser un état du dopage en France : aucune discipline, aucune génération ne semble échapper au phénomène


« Je ne soupçonnais pas l'ampleur du dopage dans le sport. Ce qui m'a le plus surpris, c'est ce qui se passe au niveau amateur ; particulièrement les pressions qu'exercent dans les centres de formation pour l'accès au haut niveau l'entourage et l'encadrement de jeunes adolescents. » Stéphane a une trentaine d'années. Psychologue à la direction régionale de la jeunesse et des sports du Languedoc-Roussillon à Montpellier, il travaille depuis cinq ans sur les préventions du dopage. Intervention auprès des jeunes dans les clubs, stages ou cycles de formation des éducateurs et des entraîneurs, enseignement auprès des formateurs du centre régional d'éducation physique et sportive (CREPD) qui préparent les professorats d'EPS, agrémentent l'essentiel de ses missions.

Lui et huit de ses confrères, spécialisés dans cette même discipline, ont ajouté, voilà un an, une trentaine d'heures mensuelles de vacations à leurs emplois du temps. A eux neuf, ils forment l'équipe des psychologues du sport qui, du lundi au vendredi, de 8 heures à 12 heures et de 14 heures à 20 heures, écoutent les appels à l'aide ou les témoignages de sportifs jeunes et moins jeunes, de parents ou de proches, en besoin de communication sur le dopage. Le numéro vert d'Ecoute dopage (0-800-15-20-00) mis en place par le ministère de la jeunesse et des sports le 24 novembre 1998 - alors que les affaires battaient leur plein - souffle ces jours-ci sa première bougie.

Au dernier relevé effectué le 31 octobre, ce service anonyme et gratuit comptabilisait 22 500 appels émis pour 6 630 réceptionnés qui ont donné lieu à l'ouverture de 3 500 feuilles d'écoute. Des feuilles sous forme de fiches informatisées façon enquête d'opinion, sur lesquelles ne figure aucune indication susceptible de trahir l'origine de l'appelant. Il s'agit d'un « matériel » apte à établir une banque de données, à dresser quelques statistiques qui renseignent sur l'âge moyen, le sexe, le statut, la durée et le thème des appels.

« Des gamins de quatorze ou quinze ans nous appellent et nous racontent le discours auquel ils sont soumis : ”Soit tu prends ça, soit tu ne joues plus.” Le plus souvent, ils ne savent même pas ce qu'on leur fait prendre. Ils sont désemparés. » Séverine, Dorian, Philippe et Stéphane ont l'oreille plaquée contre le combiné et, au cours des douze mois écoulés, ils ont été confrontés à toutes sortes de situations. L'ordinaire quotidien varie de la souffrance à la simple demande de renseignements, de la nécessité quasi thérapeutique de parler à l'urgence absolue d'intervention médicale. « Pour le milieu sportif, parler du dopage reste un choix très difficile », remarque pourtant Stéphane.

ÉTABLIR UN CONTACT Avec près de 45 % des appels, le cyclisme se révèle être la discipline la plus exposée. « Mais peut-être faut-il aussi y voir un paradoxe ? interroge Jean Bilard, professeur de psychologie à l'université de Montpellier et maître d'oeuvre de cette opération. Toutes les affaires ayant trait à ce sport et qui ont récemment défrayé la chronique ont pu avoir un effet libérateur. » Et de citer ces témoignages d'anciens coureurs, professionnels ou amateurs, qui pendant une heure racontent à leur interlocuteur invisible leur voyage au bout du dopage. « Mais il ne faut pas s'y tromper, insiste Jean Bilard, pas une discipline ne peut désormais prétendre qu'elle échappe au phénomène. »

Hommes ou femmes - elles représentent un quart des appels -, adultes ou adolescents - ils sont 32 % entre quatorze et vingt ans à avoir dialogué avec le numéro vert -, évoluent dans leur club ou dans leur association avec le dopage en tête quand ce n'est pas au corps. La plupart s'intéressent à la créatine (30 % des cas recueillis) - produit énergétique proscrit en France mais non interdit sur les listes antidopage -, beaucoup consomment du cannabis (21 % des cas), tandis que corticoïdes, anabolisants, érythropoïétine (EPO) et hormones de croissance « améliorent » souvent le régime (16 % des cas). Les amphétamines occupent encore une place non négligeable (9 % des cas), et le quart restant s'alimente en produits divers mais tous autant illicites au regard des lois sportives.

Souvent le numéro vert est le moyen d'établir un contact, d'obtenir un début d'information. « On a beaucoup d'appels à propos de la créatine, remarque l'équipe. Des personnes qui n'en ont pas encore pris, mais cherchent à se rassurer sur les conséquences en matière de santé : ”Quels sont les effets ? Est-ce bon pour moi ?” Notre démarche n'est pas de juger, ni même de lutter contre. Simplement nous essayons d'interroger les sujets quant à leur motivation. Derrière la consommation ou la tentation de dopage, il y a toujours un malaise. C'est en l'identifiant qu'on peut aider les victimes. »

Depuis l'ouverture de ce service, il ne s'est pas passé un jour sans appels. Mais leur nature évolue. « Le mois dernier, on a eu 35 % d'appels de médecins et de professionnels paramédicaux. Ils veulent connaître les produits interdits, des adresses de centres spécialisés, ou accéder à des banques de données. La plupart sont assez démunis par rapport au dopage », affirme Jean Bilard. Est-ce cela qui explique la défiance des sportifs vis-à-vis du monde médical et le - triste - succès du numéro vert ?

Y. B.


Création d'un Institut national de la prévention du dopage


L'Institut national de la prévention du dopage (INPD) devrait voir le jour au printemps 2000. Créé à l'initiative de Jean Bilard, il devrait être financé au départ par la fondation d'entreprise de la Française des jeux. Cet établissement public, par ailleurs engagé dans le cyclisme professionnel, consacrerait environ 2 millions de francs à cette entreprise. Celle-ci vise à la mise en place d'actions de prévention contre le dopage au sein des pôles élites jeunes des différentes disciplines sportives. L'INPD comprendra un conseil scientifique de 12 membres, dont la moitié des sièges reviendrait à l'université de Montpellier. En revanche, le conseil d'administration, composé également de 12 membres, serait le reflet des institutions concernées par le dopage : ministère de la jeunesse et des sports, de l'éducation, représentant du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), de la santé, etc. L'INPD développera notamment des programmes de formation destinés aux cadres des fédérations sportives qui en feront la demande.