Cinq personnes étaient toujours en garde à vue, samedi matin 8 mai, dans les locaux de la police judiciaire (PJ) parisienne, à la suite de la vaste opération menée jeudi soir et vendredi matin dans le milieu du cyclisme (Le Monde du 8 mai).
Vendredi soir, une partie des coureurs cyclistes et le joueur de football lyonnais Jean-Christophe Devaux avaient quitté le siège de la PJ, quai des Orfèvres, après avoir été entendus par les hommes de la brigade des stupéfiants. Quelques heures plus tôt, ils avaient subi des analyses médicales en vue de déceler d'éventuelles substances dopantes. Les résultats de ces analyses urinaires, sanguines et capillaires, effectuées par un médecin du ministère de la jeunesse et des sports, ne seront pas connus avant plusieurs jours.
Parmi les personnes maintenues en garde à vue samedi et susceptibles d'être déférées au parquet de Paris dans la soirée figuraient les deux hommes que les policiers considèrent à ce jour comme les personnages essentiels du dossier : un avocat bien connu dans le milieu du cyclisme, Me Bertrand Lavelot, et Bernard Sainz, un éleveur de chevaux, surnommé « docteur Mabuse » dans le peloton.
Trois coureurs, soupçonnés par la police d'avoir joué un rôle de « rabatteurs et intermédiaires » auprès de leurs coéquipiers devaient également être déférés au parquet : Philippe Gaumont (Cofidis), Yvon Ledanois (La Française des Jeux) et un ancien professionnel de l'équipe Z, Pascal Peyramaure.

UNE ENQUÊTE DE DIX MOIS
Dans ce dossier, les autres sportifs semblent considérés comme des « consommateurs ». De ce fait, ils n'encourent aucune poursuite pénale ; ce qui n'est pas le cas des éventuels « fournisseurs » passibles de peines pouvant aller jusqu'à sept ans d'emprisonnement et 1 million de francs (152 450 euros) d'amende. Pour les coureurs cyclistes, les risques de sanction viennent avant tout de leurs employeurs et des autorités sportives. La personnalité des champions concernés donne toutefois la mesure de l'affaire et relance la polémique sur le dopage à quelques semaines du Tour de France.
Parmi les personnes entendues au Quai des Orfèvres figuraient notamment Franck Perque (La Française des Jeux) et le Belge Frank Vandenbroucke (Cofidis), le coureur le plus en vue de ce début de saison. Ce dernier se trouvait avec son ami Philippe Gaumont lorsqu'il avait été interpellé, vendredi matin. En revanche, contrairement à ce que nous indiquions dans notre édition du 8 mai, le père de Frank Vandenbroucke n'a pas été placé en garde à vue. Selon nos informations, les sportifs entendus ont reconnu avoir eu recours aux produits fournis par MM. Lavelot et Sainz. De bonne source, on indique cependant qu'il serait prématuré de conclure à des aveux de dopage.
Les policiers parisiens s'intéressaient depuis plusieurs mois à ce qui est aujourd'hui qualifié de « réseau » d'approvisionnement en produits dopants et « masquants ». Cette enquête, a priori sans relation avec celle déclenchée à Lille autour de l'équipe cycliste Festina, aurait pour origine un « renseignement », parvenu à la police en juillet 1998. Une information judiciaire avait été ouverte le 22 juillet pour « infraction à la législation sur les substances vénéneuses [et] usage de produits dopants ».
Agissant sous le contrôle du juge d'instruction Michèle Colin, la brigade des stupéfiants a longuement surveillé les suspects, effectuant de nombreuses filatures. Un « travail considérable », selon la hiérarchie policière. L'objectif principal étant d'intervenir en flagrant délit, les policiers avaient un moment envisagé d'effectuer une opération lors des Quatre jours de Dunkerque, compétition qui se dispute actuellement, mais ils avaient finalement renoncé à ce projet.
Le flagrant délit voulu a en fait eu lieu jeudi soir, dans le 17e arrondissement de Paris. A l'angle de l'avenue de la Porte-de-Villiers et de la rue Cino-Del-Duca, les policiers des « stups » interpellent Bernard Sainz, alors qu'il vient de remettre une fiole à Raphaël Martinez, le frère d'un champion de VTT. Le même jour, à quelques kilomètres de là, à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), un autre groupe d'enquêteurs procède à l'interpellation de l'avocat Bertrand Lavelot.

VIRENQUE SERA ENTENDU
Me Lavelot, dont l'épouse est pharmacienne, est alors en compagnie de Lionel Virenque, le frère et l'homme de confiance du champion français Richard Virenque, déjà mis en cause dans l'affaire Festina. Conduit au Quai des Orfèvres en même temps que l'avocat, Lionel Virenque sera longuement entendu avant de sortir libre, vendredi soir. Il fera alors savoir qu'il se trouvait chez Me Lavelot pour « peaufiner un projet de livre ». « J'ai eu le tort d'être là où je ne devais pas être », ajoutera-t-il. De source proche de l'enquête, on estime cependant que Richard Virenque lui-même devra être entendu dans ce dossier. « C'est une évidence », explique-t-on.
Me Lavelot, qui assure la défense du champion français en compagnie de l'avocat marseillais Gilbert Collard, se trouve en tout cas dans une situation délicate. Lors de perquisitions à son domicile et à son cabinet, les policiers ont en effet saisi des dizaines de fioles de produits suspects, des seringues et une forte somme d'argent en liquide (2 millions de francs belges, soit environ 50 000 euros). Outre les ordonnances délivrées aux sportifs, des « protocoles » leur « donnant un mode d'emploi » pour se doper en toute quiétude ont été saisis. Les produits devraient être analysés dans les jours à venir.

Les sponsors résolus à prendre des sanctions
La direction de la société Cofidis masquait à peine un certain accablement, vendredi 7 mai, après l'annonce, dans Le Monde, de l'interpellation par la brigade des stupéfiants de plusieurs coureurs cyclistes, dont le Belge Franck Vandenbroucke, chef de file de la formation nordiste, et de son coéquipier français Philippe Gaumont. A La Française des jeux, dont deux coureurs, Yvon Ledanois et Franck Perque, sont également concernés par cette opération, l'effet de surprise désagréable était tout aussi manifeste. Pour autant, les directions de ces deux entreprises voulaient, avant toute chose, se montrer prudentes. Par manque d'information essentiellement.
« Nous apprenons tout cela », soulignait-on à la direction de La Française des jeux. « Nous sommes dans le brouillard, nous n'avons aucune information sur ce qui se passe vraiment », faisait valoir de son côté la direction de Cofidis, qui, de même que son homologue de La Française des jeux, considérait qu'il fallait prendre le temps de se donner du recul et d'attendre l'évolution de l'enquête, avant de se prononcer sur les éventuelles suites à donner. Malgré tout, si les coureurs cités devaient au final être incriminés, ces sponsors de premier plan du cyclisme français assurent qu'ils n'hésiteront pas à appliquer strictement les dispositions prévues dans la charte contre le dopage qu'ils ont adoptée à l'intersaison. Une charte dont les coureurs de ces équipes ont eu connaissance. Selon l'un de ses articles, ils ont d'ailleurs dû « s' engager formellement et par écrit à ne pas utiliser de produits interdits ».

HÉSITATIONS À RÉINVESTIR
« Nous nous tiendrons aux éléments contenus dans cette charte, ce qui pourrait, le cas échéant, impliquer des sanctions », indiquait-on à La Française des jeux, pour qui cette affaire arrive au plus mauvais moment, puisqu'elle doit confirmer, dans les prochaines semaines, si elle prolonge, ou non, son engagement dans le cyclisme. « S'il y a des mises en examen, les coureurs seront suspendus jusqu'au verdict de la justice. Si elle estime qu'ils sont impliqués, ils seront licenciés », ajoutait-on chez Cofidis, où l'on estimait qu'il n'y aurait pas lieu de remettre en cause l'engagement de la société dans le vélo, « si seulement deux coureurs ont fait les cons ». Cofidis avait exclu Francesco Casagrande en 1998 après qu'il eut été convaincu de dopage.

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