Le cyclisme français renoue avec la rubrique des faits divers



Trois coureurs ou anciens coureurs ont été écroués à Perpignan pour leur implication dans une affaire de dopage

LES « AFFAIRES » reprennent. Après plusieurs mois d'accalmie, le cyclisme français se trouve à nouveau projeté sous les feux de l'actualité du dopage, avec la mise au jour de faits supposés d'usage et de trafic de produits illicites de la part de coureurs amateurs et professionnels.

Tout est parti de Perpignan et d'un contrôle routier effectué le 29 février. Non loin de la frontière franco-espagnole, des gendarmes ont surpris deux jeunes cyclistes amateurs du VS Narbonne qui s'injectaient un produit à l'aide d'une seringue (Le Monde du 5 avril). Depuis, la pelote n'en finit pas de se dérouler. Jeudi 6 avril dans la soirée, le juge perpignanais à qui a été confiée l'instruction de ce dossier, Francis Boyer, a mis en examen quatre coureurs ou anciens coureurs. Parmi eux, trois, dont l'ancien professionnel Thierry Laurent, ont été écroués. De source proche de l'enquête, le néo-professionnel Christophe Morel serait laissé en liberté et placé sous contrôle judiciaire tandis que son frère Frédéric, coureur amateur, serait incarcéré.

Agé de vingt-quatre ans, Christophe Morel, qui a quitté en début de saison les rangs du club amateur de Charvieu-Chavagneux (Isère) pour rejoindre la formation professionnelle Besson Chaussures, est le champion de France de cyclo-cross (Le Monde du 11 janvier). Ce titre a provoqué quelques grincements de dents car, en décembre 1999, il a été contrôlé avec un hématocrite (taux de globules rouges dans le sang) tout juste inférieur au seuil admis de 50 %. Un niveau qui laisse augurer d'une prise d'EPO.

Thierry Laurent, âge de trente-trois ans, a été professionnel de 1989 à 1998, notamment au sein des formations Agrigel-La Creuse et Festina. Il avait rejoint cette dernière équipe en 1998, après avoir été exclu, l'année précédente, du Tour d'Italie en raison d'un hématocrite supérieur au seuil admis de 50 %. En 1996, il avait déjà subi un contrôle antidopage positif qui lui avait valu une suspension de plusieurs mois.

Le juge perpignanais soupçonne Thierry Laurent, chez qui auraient été trouvées des substances interdites (dont de l'EPO), d'être au centre d'un trafic et de compter parmi ses « clients » les quatre coureurs du VS Narbonne, qu'il a mis en examen, en fin de semaine dernière, pour usage, acquisition, cession et détention de produits stupéfiants et infraction de la loi de 1999 sur le dopage. C'est en orientant son enquête vers un médecin généraliste de Villefontaine (Isère), soupçonné d'avoir établi des ordonnances, que le juge a été amené à demander l'interpellation de Thierry Laurent.

Les cyclistes amateurs narbonnais auraient notamment été en possession de « pot belge », mélange d'amphétamines, d'héroïne, de cocaïne, de caféine et d'antalgiques. Un trafic de « pot belge » avait déjà été mis au jour en 1998 par un juge d'instruction de Poitiers. Cette enquête, menée avec l'appui de la gendarmerie de Poitiers, a donné lieu, en mai 1999, à trente et une mises en examen de coureurs amateurs, d'anciens coureurs professionnels et de dirigeants.

LES AMATEURS INQUIÈTENT

Que les rangs des amateurs français ne soient pas épargnés par le dopage n'est pas une surprise. Lors du congrès annuel de la Fédération française de cyclisme (FFC), fin février à Draguignan (Var), son président, Daniel Baal, avait indiqué au Monde que l'état de santé des amateurs lui causait « des inquiétudes ». Il s'alarmait, entre autres, « de l'utilisation de corticoïdes », dont il disait craindre qu'ils « constituent quasiment un dopage de base » (Le Monde du 1er mars).

Les témoignages ne sont pas rares non plus de « cadres » du cyclisme fustigeant la persistance d'« anomalies de comportement » dans les courses d'amateurs. Début mars, François Poyet, médecin du comité Auvergne de la FFC, dénonçait ainsi « une caricature de course » lors du prix Mathias-Nomblot à Villefranche-sur-Saône. « Au bout de trois tours de cette course trop difficile pour un début de saison (160 km sur un circuit d'un peu plus de 20 km, avec une quarantaine de kilomètres de bosses très dures), 80 des 110 coureurs ont “mis la flèche” [abandonné] écœurés et incapables de suivre le rythme imposé par un petit groupe, toujours les mêmes », racontait-il, précisant que « le vainqueur terminera à la moyenne sidérante de plus de 43 km/h » quand « la première étape de Paris-Nice, sur du plat, s'est parcourue à 41 de moyenne. »

Philippe Le Cœur (avec AFP et Reuters)