Des médecins français envisagent une action pour briser le silence



Le déroulement de la Grande Boucle ne satisfait pas l'ensemble de la caravane. Les praticiens qui suivent les équipes françaises et certains directeurs sportifs parlent de « clignotants qui s'allument » et de « cylindrées trafiquées ». Mais à quand une vraie prise de position ? De son côté, le courreur Christophe Bassons a décidé de jeter l'éponge face au rejet d'une partie du peloton.

SAINT-ÉTIENNE de notre envoyé spécial

Le silence dans lequel se mure le peloton du 86e Tour de France, et tout particulièrement son contingent français, en dépit de toutes les interrogations sur le déroulement de la course ces derniers jours, pourrait voler en éclats. Non du fait des coureurs ou de leurs directeurs sportifs, mais à l'initiative de certains médecins accompagnant les équipes hexagonales.

« Si des différences flagrantes devaient se confirmer, nous ferions une conférence de presse pour expliquer ce que nous avons réalisé depuis début 1999 avec nos coureurs, publier leurs hématocrites et demander aux autres équipes de faire de même », expliquait, jeudi 15 juillet, à Saint-Etienne (Loire), terme de la 11e étape, Gérard Guillaume, le médecin de La Française des jeux.

« Il faut laisser passer quelques jours encore pour voir », poursuivait ce dernier, qui indiquait « en avoir discuté avec [ses] collègues de Cofidis et Crédit agricole ». C'était mardi 13 juillet, à Sestrières (Italie), au soir d'une étape de haute montagne écrasée par l'Américain Lance Armstrong et deux jours après un contre-la-montre, à Metz (Moselle), également dominé par le leader de l'équipe US Postal.

Le film de ces étapes et surtout le comportement de certains coureurs, Lance Armstrong en tête, avaient provoqué un début d'émoi. Entre autres chez certains cyclistes et directeurs sportifs français. Les étonnements avaient néanmoins été formulés à mi-mots. Les interrogations jamais énoncées officiellement.

« Armstrong  ? Il n'y a rien d'extraordinaire dans ses résultats quand on regarde par rapport à un Alex Zülle, par exemple », plaidait Charly Mottet, ancien coureur professionnel, employé sur cette Grande Boucle par la Société du Tour de France. « Beaucoup de personnes ont été marquées par Armstrong à Sestrières. J'avais dit qu'il fallait le voir à l'Alpe-d'Huez. Le résultat a été plus conforme à ce que l'on attendait », expliquait Alain Bondue, manager de Cofidis, ajoutant : « Il n'y a que les coureurs qui peuvent ressentir des choses. »

Les coureurs... Depuis le début de ce Tour, ils ne se départent pas de la langue de bois. Quand ils n'exercent pas, à l'instar des anciens de l'équipe Festina 1998 ou de membres de l'encadrement de La Française des jeux, de fortes pressions sur ceux qui ont le courage de parler tout haut, comme Christophe Bassons.

« Celui qui gagne le Tour l'écrase un peu, toujours. C'est dommage de jeter ainsi la suspicion, Lance Armstrong fait comme tout le monde tous les contrôles », relevait, jeudi, Cédric Vasseur (Crédit agricole). N'empêche, même s'il est « difficile de juger car il y a des éléments un peu contradictoires, comme le soulignait Gérard Guillaume, la situation n'est pas aussi claire que l'on veut bien le dire, et il y a des clignotants qui s'allument ».

« Est-ce qu'ils sont significatifs ?, se demandait encore le médecin. Je ne sais pas encore mais on peut s'étonner de certaines choses. Les Français ne sont pas trop devant. On voit surtout les Américains et les Espagnols. Ce qui pose question aussi, c'est qu'il n'y ait pas eu de coureurs de certaines équipes derrière, dans les gruppetti. C'est toujours troublant. » Des statistiques semblent conforter ces observations. « Sur l'étape de Sestrières, on voit qu'une équipe comme Banesto perd 10  minutes par coureur en moyenne sur le premier, alors qu'une formation comme la nôtre perd 30  minutes en moyenne par coureur, expliquait, jeudi, à Bourg-d'Oisans, un cadre de La Française des jeux. Devant, on trouve un groupe d'équipes comme ONCE, Banesto, Kelme, Telekom et un peu plus en retrait US  Postal. Puis, loin derrière, des équipes comme BigMat Auber 93, Rabobank, Mercatone Uno, la nôtre, Festina, Cofidis, Crédit agricole. »

« Je suis optimiste », déclarait malgré tout, jeudi, au départ, Stéphane Javalet, le directeur sportif de BigMat Auber, mettant notamment en exergue le fait que « l'on aura rarement vu » ses coureurs « autant présents ». La veille, Thierry Bourguigon avait réalisé une longue échappée, finalement sans succès, en compagnie de Stéphane Heulot (La Française des jeux). « Ils sont revalorisés », ajoutait Stéphane Javalet, lançant, comme en quête d'une approbation : « On a carrément inversé la tendance, non ? », à propos de pratiques de dopage dont il voudrait que l' « on ne rediscute pas toujours », que l' « on nous donne de l'oxygène par rapport à ce qui été entrepris ». Avant, finalement, de reconnaître qu' « il y a des cylindrées trafiquées ». Et que, pour s'en affranchir, « il faut des radars. C'est cela que l'on attend ».

Dans l'immédiat, on a « retrouvé le Tour de France, avec les grandes échappées traditionnelles », voulait surtout savourer, jeudi soir à Saint-Etienne, Jean-Marie Leblanc, le directeur d'une épreuve 1999 qu'il a présentée comme celle du « renouveau » pour le cyclisme. Dans la capitale du Forez, ce renouveau avait un drôle de goût, puisque c'est Ludo Dierckxsens, de la formation italienne Lampre, qui a gagné en solitaire. L'équipe Lampre a récemment été placée sous la rampe des projecteurs après qu'un photographe eut vu l'un de ses membres jeter un sac-poubelle lors du Tour de Suisse, qui se serait révélé contenir des restes de produits dopants. Ludo Dierckxsens, quant à lui, a tout de ces révélations tardives qui ne laissent pas d'étonner : il a émergé depuis un peu plus d'un an et il a aujourd'hui 35 ans.


  Philippe Le Coeur

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