Les aveux d'un culturiste



SI LES CYCLISTES, encore en activité ou déjà à la retraite, forment le gros du contingent des individus qui, depuis trois mois, défilent dans le bureau du juge Francis Boyer à Perpignan (Pyrénées-Orientales), on compte également un triathlète, Mathias Mure, 23 ans, sélectionné à deux reprises en équipe de France et un culturiste, Gilbert Gerbier.

Ce dernier, résidant au Cap d'Agde (Hérault), est à la fois un fournisseur et un gros consommateur de substances dopantes. Il l'a d'ailleurs avoué aux gendarmes qui l'ont interrogé. « Je dois vous expliquer le fonctionnement du body- building à haut niveau », a-t-il déclaré en préalable à sa déposition. Et de détailler par le menu le régime, ô combien particulier, de certains des adeptes de cette discipline.

« IL Y A TROIS CYCLES » « Il y a trois cycles », a-t-il expliqué. Le premier - il dure huit semaines - consiste à développer la masse. « Grâce à un régime alimentaire et à la prise d'anabolisants », précise-t-il. Il est suivi d'un nouveau cycle de huit semaines pour améliorer la qualité musculaire avec la prise de nouveaux anabolisants, un régime que Gilbert Gerbier a détaillé : « En compétition nationale, d'une manière générale, je faisais : premier cycle Decadurabolin [ndlr, de la nandrolone] à raison de 200 à 400 mg par semaine ; Sustanon [ndlr, de la testostérone] à raison de 250 mg par semaine ; Andriol [ndlr, de la testostérone], deux comprimés par jour ; Winstrol [ndlr, un anabolisant], cinq comprimés par jour. Pendant la coupure, je nettoie le foie avec du Cégalon. Si besoin, Novaldex (un anti-oestrogène), 10 mg par jour, et toujours si besoin, de la Gonadotropine (une hormone femelle) trois fois par 1 500 unités. Ensuite Ephédrine, deux par jour, Primabolan, quatre injections par semaine, et Siropan. Pour pouvoir progresser, j'ajoutais de l'hormone de croissance. Dans une année sans compétition, il me faut 2 000 francs par mois en produits. En compétition, c'est plus 10 000 à 12 000 francs sur quatre mois. »

C'est en Espagne, à Rosas, sur la Costa Brava, dans une salle de gymnastique que Gilbert Gerbier s'approvisionnait. Vendeurs à ses heures - « J'ai reçu des demandes de sportifs body et autres athlètes », indique-t-il dans sa déposition. Lorsqu'ils ont perquisitionné à son domicile, les gendarmes ont découvert d'autres produits : Lydocaïne, Oxandrolone, Testoviron, Solupred, Ephédrine, Genotronom (hormone de croissance), Winstrol et même de l'Apetil, un anabolisant pour animaux. Ils ont également saisi 70 seringues.

Avant d'entamer en 1991 une carrière de body-builder - il dispute, depuis 1994, des championnats nationaux et internationaux -, Gilbert Gerbier, aujourd'hui au chômage, s'était essayé à l'athlétisme et lancé dans la boxe. Quand les enquêteurs l'ont questionné sur les raisons de sa prise effrénée de produits, il a répondu : « Je le faisais parce j'appartenais à une fédération et que je préparais le championnat du monde. »

Y. B.


Les clefs de l'affaire

Le dossier est instruit depuis le 30 mars 2 000. Au total, 23 personnes sont actuellement mises en examen.
Les motifs des mises en examen sont relatifs à la violation de la législation sur la détention et le transport de produits stupéfiants et à la violation de la loi sur le sport relative à « l'offre, l'administration de substances ou procédés de nature à modifier artificiellement les capacités de sportifs à l'occasion de compétition ».
Outre des sportifs, coureurs cyclistes, anciens ou en activité pour la plupart, deux médecins et un pharmacien sont mis en examen. D'autres médecins d'équipes cyclistes professionnelles, belge et française, sont cités dans le dossier.
Le 24 mai à Perpignan, à l'issue d'une confrontation, le juge Francis Boyer a relâché la totalité des prévenus placés en détention depuis les débuts de l'enquête. Soumis à un strict contrôle judiciaire, ils n'ont pas le droit de se rencontrer.
Selon le substitut du procureur, Pierre Sennes, interrogé par Le Monde, il reste encore deux ou trois personnes à entendre dans les régions du Languedoc et de Rhône-Alpes.

Le Monde daté du mercredi 31 mai 2000