La grande méchante créatine



Article paru dans "Sport et Vie" N°58

Depuis quelques mois, on assiste en France à une entreprise de diabolisation de la créatine orchestrée notamment par le Ministère, dont on s'étonne seulement qu'elle repose sur des arguments scientifiques si peu solides. Cette situation est quasiment unique au monde. On le regrette. Non pas que nous pensions que le composé ait obligatoirement sa place dans la ration du sportif. Mais tout simplement parce que ce débat participe à une certaine forme de désinformation qui nous éloigne des enjeux de la lutte antidopage.
Voilà ce qui ressort d'un article de synthèse écrit par l'une des sommités européennes de la nutrition et de la physiologie, le professeur belge Jacques Poortmans où l'auteur passe en revue les pseudo effets nocifs du produit. A propos de la prise de poids, il rapelle que celle-ci n'a jamais été établie de manière formelle chez l'homme. Néanmoins, les résultats de quelques expériences rendent plausibles le gain d'1 à 2% de poids par un simple phénomène de rétention d'eau.
Pas de quoi fouetter un chat. On évacue aussi la question des troubles digestifs. "Il ne semble pas que la consommation de créatine exogène ait une incidence évidente sur le tractus digestif des consommateurs en bonne santé" écrit notre professeur. Viennent ensuite les crampes qu'il faut attribuer, selon lui, "à l'intensité de l'exercice lui-même plutôt qu'a la consommation de créatine." Qu'en est-il des problèmes hépatiques ? Il cite alors les conclusions de travaux américains ayant consisté à administrer 20 grammes de créatine pendant 5 jours puis 10 grammes quotidiens pendant 51 jours et qui concluaient à l'absence de la moindre altération des marqueurs de la fonction hépatique. Reste le cas le plus souvent évoqué, celui du dysfonctionnement rénal. Jacques Poortmans reprend alors l'article très médiatisé de deux néphrologues britanniques, Pritchard et Kalra, paru dans "The Lancet" le 25 avril 1998 qui avait mis le feu aux poudres.
Il démonte pièce par pièce leur interprétation très sentencieuse. L'étude clinique en question portait en effet sur un sujet qui avait souffert pendant 8 ans d'une sclérose glomérulaire et avait été traité par la cyclosporine, un médicament dont on connait la toxicité sur les reins. Ce sujet se préparait à une saison de football en consommant 15 grammes de créatine par jour pendant une semaine, puis 2 grammes par jour pendant 7 semaines. Il s'ensuivit une chute de 50% de son taux de filtration glomérulaire, qui se résorba dans le mois qui suivit l'arrêt du traitement. La prudence s'imposait au moment d'interpréter ces faits.
Néanmoins, plusieurs quotidiens reprirent cette information en stipulant que "le viagra du champion induit une insuffisance rénale, des altérations de la fonction hépatique, voire la mort". L'article britannique faisait également allusion aux décès de trois lutteurs américains, plus ou moins attribués à la prise de créatine. Là aussi, il y a visiblement beaucoup à redire. En effet, comme le rapelle Poortmans : "l'enquête policière a révélé la présence d'un flacon de créatine chez l'un d'entre eux, mais elle a conclu à la prise de substances amaigrissantes ayant engendré la mort. La créatine n'y était donc pour rien"

Quelles conclusions en tirer ? Qu'en référence aux données actuelles de la littérature, rien ne permet de penser que la créatine représente un quelconque danger. Remarquez, cela ne doit pas nous empêcher de faire une évaluation de la fonction rénale avant une prise de créatine, selon un principe de précaution bien compréhensible. D'ailleurs, à notre avis, ce conseil vaut également pour l'ingestion de protéines en poudre dont l'impact néfaste est désormais reconnu de la plupart des spécialistes...et qui concerne beaucoup de monde ! Mais on ne se situe plus dans le champ du dopage.