La créatine au coeur du débat sur le dopage



« La créatine n'est pas un produit dopant. Je n'en prends pas mais j'en connais beaucoup qui en prennent. » Cette affirmation est de Thomas Castaignède. Elle date du 20 octobre 1998, lors d'un rassemblement du XV de France. Ce jour là, les propos du n°10 de Castres faisait écho à un discours tenu par Thierry Hermerel. Le 12 octobre, le médecin de la sélection nationale avait déclaré au micro de Sud Radio : « Le dopage est un réel problème pour tous les médecins sportifs et le monde du rugby n'y échappe pas. » Le débat qui, depuis l'été, était ouvert à la suite des « aveux » de consommation de champions du monde de football tels Zinédine Zidane, agitait le monde du rugby. Des pages entières de publicité dans les magazines spécialisés britanniques vantent sans vergogne les mérites de la créatine. Percy Montgomery, l'arrière sud-africain, affirme avoir pris 10 kilos de muscle durant une inter-saison en absorbant ce supplétif nutritionnel. N'en déplaise à Jo Maso qui jurait que « tant qu'(il) serait manager de l'équipe de France, (il pouvait garantir) que la créatine (n'entrerait) pas dans les valises des médecins », cet « engrais » musculaire figure désormais au menu de nombre de rugbymen.
Au plan médical la créatine n'affiche aucune vertue. Cette substance composée d'acides aminés se trouve à l'état naturel dans certains aliments comme la viande rouge et le poisson. Fabriquée par l'organisme en quantité limitée, dans le muscle elle se transforme en phosphocréatine qui représente une source essentielle d'énergie rapidement disponible. Elle permet au muscle de se contracter même dans les conditions défavorables. A l'état synthètique, cette molécule se présente sous forme de poudre blanche. Son usage « normal » provoque des effets équivalents à la consommation quotidienne de cinq kilos de viande rouge.
Les effets, eux, restent sujets à controverses : les uns défendent la thèse qu'en « complément alimentaire » la créatine favorise l'accroissement accéléré de la masse musculaire tandis que d'autres y mvoient, au mieux une sorte de placebo, au pire un masquant de produits illicites, tel les stéroïdes anabolisants. Selon le physiologue belge Jacques Poortmans, auteur d'un article publié dans la revue médicale anglaise The Lancet, « chez les sportifs très entraînés, les réserves initiales en créatine sont déjà élevées. » « L'efficacité d'apport exogène et supplémentaire en est amoindri ».
Pour le professeur Michel Rieu, chef du service d'Explorations fonctionnelles et de physiopathologie de l'exercice à l'hôpital Cochin de Paris, président de la société de médecine sportive, « c'est un produit alibi, qui sert à masquer la prise d'autres produits. » Alors, placebo ou masquant ? Quoiqu'il en soit la créatine, arrivée il y a deux ans dans le rugby par l'hémisphère sud, n'est pas interdite par les autorités sportives internationales. Elle n'est pas cataloguée comme substance dopante et les contrôles anti-dopages ne recherchent pas ses traces.
Interdite à la vente libre en France, elle s'achète sans ordonnance au prix de 15 livres (27 ) dans n'importe quelle pharmacie londonienne. Pourtant, alerté par le succès ravageur du produit, le président de la Fédération française de rugby (FFR), Bernard Lapasset, l'a interdit à la consommation de ses joueurs. Le 18 décembre 1998, la FFR décidait de « prononcer un arrêt de travail pour tout joueur ayant été contrôlé avec un taux de créatine trop élevé. »
C'est que selon certaines études le recours excessif à la créatine présente des risques qui peuvent à terme se révéler dangereux pour la santé. Injectée en intraveineuse, elle peut être la source de complication rénale. Au delà de certaines doses en 15 et 20 grammes par semaines, la prise n'a plus aucune utilité. L'organisme élimine ses apports superflus de façon naturelle. Ce qui n'est pas sans conséquence sur les organes chargés de cette fonction.

Yves Bordenave