Dopage : un rapport et un cahier accablent vingt coureurs



Des experts mandatés par la justice italienne accusent vingt cyclistes, parmi lesquels Axel Merckx, Mario Cipollini et Abraham Olano, d'avoir utilisé des produits interdits. Ivan Gotti, lui, notait scrupuleusement ses prises d'EPO Mis à jour le vendredi 17 décembre 1999



Après une enquête menée depuis plus de deux ans, les experts scientifiques désignés par le juge de Bologne (Italie) Giovanni Spinosa ont remis au Comité olympique italien un rapport qui met en cause vingt coureurs soupçonnés d'avoir utilisé des produits dopants. L'Italien Ivan Gotti, qui a gagné les deux dernières éditions du Giro, l'Espagnol Abraham Olano et le Français Armand de Las Cuevas sont concernés par cette affaire. « Seules des prises de produits peuvent expliquer les paramètres sanguins que nous avons relevés », affirme un des experts. Selon les informations dévoilées par Le Monde, la justice italienne a saisi un cahier lors d'une perquisition et réussi à déchiffrer les annotations qui décrivent les cures d'EPO et d'hormones de croissance. En France, la Fédération a demandé au ministère de la jeunesse et des sports de renforcer les contrôles.

APRÈS UNE ENQUÊTE minutieuse de plus de deux ans, les investigations de la justice italienne dans le milieu du sport en général et dans le cyclisme en particulier ne sont pas loin d'aboutir. Les experts scientifiques, désignés par le juge de Bologne Giovanni Spinosa, ont remis au Comité olympique italien (CONI), jeudi 16 décembre, un dossier qui accuse vingt coureurs, parmi lesquels les Italiens Ivan Gotti, vainqueur des deux dernières éditions du Giro, Mario Cipollini, l'Espagnol Abraham Olano, le Français Armand de Las Cuevas, le Belge Axel Merckx ou le Russe Pavel Tonkov, tous patients réguliers du docteur Michele Ferrari et clients attitrés de la pharmacie Giardini Margherita de Bologne, point de départ de l'enquête.
« Je ne connais pas l'EPO », s'est défendu Pavel Tonkov. Les analyses réalisées à partir d'échantillons et de fiches cliniques saisies à l'occasion de perquisition révèlent, pourtant, des taux hématocrites supérieurs au seuil des 50 % tolérés par les instances du cyclisme, des taux de ferritines particulièrement élevés et des variations hématologiques « trop fortes pour être naturelles », a commenté un des experts. « Seule des prises de produits peuvent expliquer les paramètres sanguins que nous avons relevés », a souligné le professeur Plebani, de l'université de Padoue.

POSSIBLES SANCTIONS SPORTIVES

Mais, plus important encore, selon nos informations, des documents découverts par les carabiniers au domicile de certains coureurs et dans le cabinet médical du docteur Michele Ferrari, mis en examen dans le cadre d'une autre affaire instruite à Ferrare par le juge Pierguido Soprani, décrivent les prises régulières de produits dopants tels l'EPO par de nombreux coureurs, dont Ivan Gotti, lequel a malgré tout affirmé ne s'être jamais dopé. Un proche du dossier assure, néanmoins, que les enquêteurs ont saisi un cahier dans lequel le leader de la formation Polti aurait noté scrupuleusement le « traitement » qu'il s'infligeait. « Il écrivait très précisément ce qu'il prenait chaque jour, en indiquant les doses et la nature des produits », a indiqué au Monde cette source. Parmi les produits, figureraient notamment de l'EPO et de l'IGF1, une hormone de croissance prisée dans les pelotons. Par ailleurs, trois autres coureurs interrogés par les enquêteurs auraient avoué consommer des substances illicites et dopantes. C'est grâce aux aveux de l'un d'eux que les policiers italiens ont pu déchiffrer les annotations codées contenus dans certains documents épluchés. Ces codes avaient pour but de dissimuler la nature exacte de certaines prescriptions médicales relatives à des cures d'EPO et d'hormones de croissance.
En l'absence de loi contre le dopage, la justice italienne ne prononce aucune suspicion de culpabilité vis-à-vis des sportifs dopés. Elle les considère comme victimes. Le CONI, en revanche, a le pouvoir de sanctionner les sportifs convaincus de dopage. Mais, pour l'heure, il préfère attendre de nouveaux développements. Interrogé jeudi, Gianni Petrucci, son président, a déclaré qu'il réagirait à ces informations dès que sa commission antidopage aurait étudié l'ensemble des documents livrés à sa connaissance par les juges.
« Ils sont au pied du mur », a indiqué au Monde Sandro Donati, membre de la commission scientifique du CONI et principal animateur de la lutte contre le dopage en Italie. Ce pourfendeur des autorités sportives de la Péninsule craint qu'« une fois de plus, on cherche à gagner du temps pour que rien ne bouge ».
Un mois après la mise en examen de Marco Pantani (Le Monde du 13 novembre) pour « fraude sportive », ces révélations témoignent de l'intense activité judiciaire menée par les magistrats italiens. Instruites de manière moins spectaculaires que les affaires survenues lors du Tour de France 1998, elles n'en sont pas moins démonstratives. Et confirment la dimension universelle du fléau.

Yves Bordenave