Les sportifs français se plient sans hâte au suivi biologique



Plus d'un millier d'athlètes de haut niveau se sont prêtés à au moins un bilan sanguin, soit un tiers des personnes véritablement concernées par ce suivi imposé par une loi de 1999 relative à la lutte contre le dopage. Footballeurs et handballeurs sont les grands absents

MERCREDI 19 JANVIER. Une partie de l'équipe cycliste La Française des jeux est en stage dans l'arrière-pays niçois. La saison débute quinze jours plus tard. L'occasion de tirer les leçons de l'année 1999. Et de reparler dopage. Forcément. Ce qui a le don d'agacer Stéphane Heulot, capitaine de route de la formation.

« Vous en êtes encore là ? », lance le coureur breton. Lui veut croire en de « nouvelles perspectives ». Notamment avec le renforcement, au niveau international, des règles du suivi biologique longitudinal, ces prélèvements sanguins rendus obligatoires début 1999, visant à prévenir l'usage de produits dopants . Notamment ceux invisibles aux classiques contrôles urinaires, comme l'érythropoïétine (EPO). « Et les autres sports ? », interroge Stéphane Heulot, aux yeux de qui, « pour avoir une vraie force dans la lutte contre le dopage, il faut aussi regarder » au-delà du cyclisme. Or, assure-t-il, il ne voit pas « les choses avancer ailleurs ».

« Les choses », pourtant, bougent. En France, la politique de prévention voulue par les pouvoirs publics se met en place. Bon gré, mal gré, les différents sports en viennent à soumettre leurs athlètes au suivi biologique, rendu obligatoire par la loi de mars 1999.

Un peu plus d'un millier de sportifs se sont pliés à ce jour à ces prélèvements sanguins, selon des chiffres collectés auprès du ministère de la jeunesse et des sports et des fédérations. Même si les cyclistes pèsent lourd (600 professionnels et amateurs), c'est presque un tiers des sportifs « éligibles » qui s'y seraient soumis. « Sur 6 000 à 7 000 sportifs de haut niveau, 3 000 à 3 500 doivent faire le suivi biologique », note-t-on au ministère.

L'ÉCHÉANCE OLYMPIQUE

Le degré d'engagement reste, cependant, variable. Quand certains sports peuvent prétendre à un suivi longitudinal (plusieurs bilans sanguins), seul capable d'éclairer d'éventuelles dérives, d'autres en sont aux balbutiements. La voile, le volley-ball ou la natation, par exemple. « Le ministère nous avait demandé d'attendre », explique Jean-Pierre Serveti, médecin des équipes de France de natation, qui a envoyé vingt athlètes faire leurs premiers bilans lors d'un stage à Font-Romeu, en janvier. « Natation synchronisée et plongeon suivront, cela fera quarante athlètes au total », ajoute-t-il, précisant qu'un deuxième bilan est prévu en juin-juillet.

« Il fallait connaître les présélectionnés olympiques », se défend André Glaive, directeur technique national du volley-ball, qui indique qu'une partie des vingt-huit athlètes concernés (équipe de France masculine, garçons et filles du beach-volley) ont effectué leurs premiers bilans fin 1999. Le ministère de la jeunesse et des sports avait stipulé que, hormis le cyclisme, les sports concernés en 1999 par la mise en oeuvre du suivi biologique seraient ceux disposant d '« athlètes présélectionnés pour les JO de Sydney ».

Deux tiers des sports dits olympiques ont satisfait à cette exigence. Le handball n'en fait pas partie. Pas plus que le football. Ce dernier a une « excuse » : « Nous n'allons pas à Sydney », relève-t-on à la Fédération. « Pour l'équipe de France Espoirs, nous avions pris l'option d'attendre l'éventuelle qualification. Ils ont été éliminés », explique Jacques Liénard, médecin fédéral. Le rugby, qui n'est pourtant pas sport olympique, n'a pas eu ces hésitations ( Le Monde du 11 février). Trois bilans sanguins ont été exigés auprès des trente joueurs composant le groupe France avant la Coupe du monde.

Si les cyclistes se sont pliés aux contraintes du suivi, les athlètes des sports collectifs auraient des « problèmes de disponibilité ». Problèmes renforcés par ceux « de l'unité mobile chargée des prélèvements », selon Jacques Liénard. Créée début 1999, afin de lancer au plus vite le suivi médical, cette unité, dont le fonctionnement avait été confié à l'Institut biotechnologique de Troyes, a cessé son activité le 27 avril pour des raisons administratives (absence d'appel d'offres). « On avait 1 200 demandes potentielles, contre 400 prévues », rappelle-t-on au ministère.

UN DÉCRET À VENIR

L'unité mobile a cédé le pas à un réseau de laboratoires. Mais « cela n'a commencé qu'en octobre et certains hôpitaux ne voulaient plus le faire », relève Jean-Pierre Serveti. « Certains joueurs n'ont pas de laboratoires à proximité », ajoute André Glaive. Au ministère, on indique qu'un prochain décret devrait clarifier la situation.

En attendant, pour les sports qui ont engagé le suivi biologique, il n'y aurait, officiellement, « pas d'anomalies » constatées. Les autorités françaises du cyclisme, elles, ont très tôt évoqué les dérives préoccupantes de certains paramètres biologiques, avant de faire valoir une « sensible amélioration des résultats ». Tout en reconnaissant que la mise en place du suivi médical n'est pas nécessairement synonyme de disparition du dopage.

Ph. L. C.


Vingt disciplines ont franchi le pas
Selon le ministère des sports et les fédérations concernées, vingt disciplines ont d'ores et déjà lancé un suivi biologique pour leurs athlètes.

Sports ayant mis en place un suivi biologique en 1999 :
- Au moins trois bilans sanguins : cyclisme (professionnels et amateurs), judo, pentathlon moderne, rugby, triathlon.

- Deux bilans sanguins : athlétisme, aviron, badminton, basket-ball.

- Un bilan sanguin : boxe, escrime, gymnastique, haltérophilie, lutte, ski, tennis, volley-ball (équipe de France masculine) et beach volley (filles et garçons).

Sports ayant mis en place un suivi biologique début 2000 : natation et voile.

Coût des prélèvements sanguins : ils sont à négocier par les fédérations avec les laboratoires vers lesquels elles orientent leurs athlètes. Selon les chiffres communiqués par les fédérations, les prix varient de 1 500 à 3 000 francs (230 à 460 ) pour une analyse. En ce qui concerne le cyclisme, par exemple, la facture acquittée par les groupes sportifs professionnels français aurait avoisiné 2 millions de francs (plus de 300 000 ) en 1999, selon la Ligue nationale.

Le Monde daté du mardi 15 février 2000