Les étonnantes découvertes de l'ancien médecin des Festina


Témoignage d'un médecin du sport auprès d'une équipe cycliste professionnelle


Le temps d'une saison cycliste de janvier à octobre 1999, Claire Condemine-Piron a exercé son métier de médecin du sport auprès de l'équipe professionnelle Festina. Recrutée par les dirigeants de la firme espagnole après le scandale qui révéla, en juillet 1998, des pratiques de dopage institutionnalisées au sein de cette formation, sa mission était précise : assurer la direction médicale du groupe.
« Je suis arrivée là, en ne connaissant rien au monde cycliste, raconte-t-elle aujourd'hui. Je croyais avoir affaire à des sportifs confrontés au dopage, très vite je me suis aperçue qu'en fait j'avais affaire, pour un nombre non négligeable d'entre eux, à des toxicomanes. »
C'est à Calpe, dans le sud de l'Espagne, qu'en janvier 1999 Claire Condemine-Piron démarre son travail. Comme chaque année avant les premières épreuves, l'équipe Festina se retrouve pour un stage d'entraînement. Tout le monde est là : coureurs et personnels d'encadrement. « Ma situation était délicate, se souvient-elle. J'étais imposée par le sponsor. Je ne sortais pas du « milieu », et en plus j'étais une femme. L'un des adjoints s'en est d'ailleurs offusqué. Mais pire que tout, pour les trois directeurs sportifs [NDLR : les Français Yvon Sanquer, Michel Gros et l'Espagnol Juan Fernandez], j'étais une rivale. Investie d'un pouvoir par les patrons du groupe, j'étais là pour créer une structure médicale au service des coureurs, avec comme tâche de prévenir le recours au dopage. Et je ne savais rien des particularités du sport cycliste, de ses habitudes, de ses exigences. » Il ne lui faudra pas longtemps pour découvrir certaines de ces « particularités ». « Les coureurs sortaient d'une sale affaire qui les avait profondément choqués mais ne manifestaient aucune culpabilité, s'étonne-t-elle encore. Ils étaient remontés contre tout le monde : le milieu qui les avait abandonnés dans la tempête, les juges, les policiers, les journalistes qui, selon eux, les avaient trahis. Mais pas un ne semblait conscient d'avoir commis une faute. » Dès les premières courses de février, des rumeurs se répandent : la « toubib » renseignerait les policiers ou bien serait une espionne à la solde du ministère de la jeunesse et des sports. Au sein de l'équipe, les relations se tendent.

UN TABOU VIOLÉ

« Sans le savoir, le sponsor avait violé un tabou, analyse-t-elle. Le directeur sportif n'avait pas été consulté pour le choix du médecin. Dans le cyclisme, le principal problème est là : le rôle omnipotent des directeurs sportifs. Les coureurs ne sont que les victimes consentantes mais victimes tout de même d'un système qui place le directeur sportif au centre de toutes les décisions, dans tous les domaines. Attention, je ne dis pas que le directeur sportif dope ses coureurs. Je dis que ce personnage, obnubilé par la performance et pétri de cette culture cycliste où le dopage tient une place importante, détient un pouvoir absolu. Tant qu'on ne s'attaquera pas à cette logique de la toute-puissance, rien ne bougera. »
Durant plusieurs mois, Claire Condemine-Piron devra composer avec des us et coutumes que rien ne fonde, sinon d'empiriques croyances. Ainsi des produits énergétiques polyvitaminés, interdits à la vente en France mais distribués en Espagne ou en Italie, sont-ils consommés par les coureurs alors qu'ils ne servent à rien. « Mais tant pis, explique le praticien, on le fait parce qu'on l'a toujours fait. »
Elle interrogera le ministère et la Fédération française de cyclisme (FFC) pour savoir que faire, face à ces consommations réprouvées par l'agence française du médicament. Elle attend toujours la réponse. Tout comme elle attend encore un avis autorisé sur sa proposition d'instaurer une structure médicale collégiale, indépendante des équipes et des instances, dotée d'un pouvoir de décision quant à l'aptitude ou la non-aptitude d'un coureur à s'aligner au départ d'une épreuve.
« Durant ces mois passés auprès des coureurs, j'ai vu des choses que je n'aurais jamais vues ailleurs, affirme-t-elle. Des jeunes gens soumis à de telles contraintes qu'ils en faisaient ce que nous appelons en médecine des attaques de panique. De violentes crises d'angoisse accompagnées de douleurs thoraciques. Ces affections développent un terrain plus que favorable à la prise de produits. »
Aujourd'hui, Claire Condemine-Piron exerce à Montpellier. Elle s'est éloignée des pelotons mais poursuit son action avec la Fondation Festina, dont elle est vice-présidente. « Actuellement, aucun médecin d'équipe ne peut mener seul un travail sérieux, insiste-t-elle. Au-delà des hommes, qui sont tous faillibles, il faut veiller au fonctionnement des structures. Intégrons la pratique démocratique du partage des pouvoirs dans le monde sportif. Nous pourrons alors encourager nos enfants à devenir des champions et non les adeptes d'une secte. »


Yves Bordenave