« L'entraîneur de mon fils le contraint à prendre des corticoïdes »



« En douze mois, on a entendu toutes sortes de discours : des questions, des troubles, de la souffrance. » Le professeur Jean Bilard dresse un bilan triste, mais prévisible de l'action d'Ecoute dopage, ce numéro vert organisé selon le modèle des services d'appels téléphoniques gratuits, confidentiels et anonymes tel « Sida info service ». En veillant à ne rien lever du secret professionnel que lui impose sa mission, il évoque de mémoire quelques propos lâchés dans le combiné.

Ainsi ces phrases d'un sportif contrôlé positif et sanctionné par sa fédération. « Je serais un taulard, on m'aiderait à me réinsérer. Je ne suis qu'un sportif ayant subi un contrôle positif. Alors on se désintéresse de moi. Pis, on me rejette, on m'exclut. » Celui-là a appelé plusieurs fois. Même s'il reconnaît les faits qui lui ont été reprochés, il n'accepte pas la sanction prise à son égard. Elle pèse lourd, hypothèque probablement la suite de sa carrière et bouleverse sa vie. « Le sens de notre écoute, c'est de lui faire prendre conscience de la réalité et d'essayer de la lui faire accepter », explique Jean Bilard.

Un autre appel provient d'un cycliste positif aux amphétamines. Contre toute évidence et malgré la fiabilité des tests, lui refuse de reconnaître les faits : « Je n'en ai pas pris et je suis tout de même suspendu pendant un an. » Un autre encore attend, inquiet, les résultats d'une analyse. Quelques jours avant d'être contrôlé, il a fumé du cannabis. Il veut savoir si ses urines renferment encore les traces de ce produit prohibé.

« QUELS SONT LES RISQUES ? » Une mère raconte que son fils de 19 ans licencié dans un club cycliste prend des anabolisants sous contrôle médical. Torturée par le doute, mais portée par son rêve de le voir devenir un champion, elle voudrait se rassurer. « Quels sont les risques ? » interroge-t-elle. Un père se renseigne : « Mon fils est en cadet. Son entraîneur le contraint à prendre des corticoïdes. S'il refuse, il ne disputera plus aucune course. Comment peut-il se défendre ? » Un rugbyman explique qu'avant les matches il inhale du cannabis pour ne pas ressentir les chocs et la douleur et demande si la créatine est décelable lors des contrôles.

Un médecin voudrait obtenir la liste exhaustive des produits interdits et cherche des informations sur les compléments nutritionnels. « N'est-ce pas du dopage ? » Un athlète pense avoir été pris positif anticipé : « Est-ce que je vais être dénoncé et qui sera au courant des résultats ? » Ce jeune cycliste, coureur en élite, dresse la liste de ce qu'il a absorbé et injecté. Il dépense beaucoup d'argent, a conscience d'être prisonnier d'un cycle infernal : « Ça s'aggrave de jour en jour. »

Puis, il y a cet ancien cycliste professionnel de 55 ans. Il pourrait avoir une belle carrière derrière lui, mais, « dans ce milieu, celui qui refuse de se doper est déconsidéré ». « On le prend pour une lopette, assure-t-il. C'est pas un homme. J'avais des copains, Un tel, Un tel et encore Un tel, ils auraient mon âge, mais ils ne sont plus là. Tous morts. »

Et puis, il y a du désarroi. Une mère découvre des produits dans le sac de sport de son garçon. Un père constate que son fils dépense beaucoup d'argent et commence à grossir. « Comment aborder ces questions à la maison ? », demande-t-il. Un culturiste affirme que, dans la salle qu'il fréquente, des prospectus circulent ouvertement qui vantent les mérites de tel produit illicite et propose de passer des commandes : « Est-ce que ce produit est dopant ? Il renferme de l'IGF 1 (NDLR, Insuline Grow Factor, une hormone de croissance) . Il est vente libre aux Etats-Unis. »

Y. B.