L'agence mondiale antidopage va devoir prouver son autorité



Cette nouvelle instance sera chargée de coordonner et de superviser les politiques et les contrôles antidopages. Les Etats seront représentés, à égalité avec le mouvement sportif, au sein des organes de direction

L'IDÉE ÉTAIT NÉE en septembre 1998. Quelques semaines après le Tour de France et le grand déballage occasionné par l'affaire Festina. Le mouvement sportif, à travers le Comité international olympique (CIO), avait jugé nécessaire d'instituer une sorte de haute autorité indépendante pour coordonner la lutte contre le dopage. Quatorze mois plus tard, c'est quasiment chose faite. Mercredi 10 novembre, l'agence mondiale antidopage a fait ses premiers pas à Lausanne (Suisse). En l'occurrence, cette date marque sa création légale. Dotée d'un statut de fondation, l'agence ne commencera véritablement à fonctionner que mi-décembre.

Le mouvement sportif ne sera pas seul aux commandes. Les pouvoirs publics (gouvernements, organisations inter-gouvernementales) auront voix au chapitre. La direction de l'agence sera partagée à égalité entre représentants des instances sportives et politiques. « C'est une première, se félicite-t-on au ministère de la jeunesse et des sports, à Paris. Toutes les parties prenantes de la lutte antidopage seront représentées et cela assurera l'indépendance de l'agence. »

Aboutir à cette parité n'a pas été simple. En février, lors de la conférence mondiale sur le dopage à Lausanne (Suisse), les ministres de l'Union européenne avaient sommé le CIO de revoir le projet qu'il leur présentait ( Le Monde du 5 février). Alors qu'ils insistaient sur la nécessité d'une agence indépendante du mouvement sportif et d'une coopération avec les Etats, les pouvoirs publics se retrouvaient avec « une fondation organisée et présidée par le CIO ».

L'Union européenne siégera au conseil de direction de l'agence. « Nous avons éliminé les dernières difficultés que nous voyions encore dans le projet », a indiqué, le 2 novembre, Viviane Reding, commissaire européenne chargée du sport, après un entretien, à Lausanne, avec Juan Antonio Samaranch, le président du CIO. Selon Mme Reding, les Quinze devraient disposer de deux représentants au sein du conseil (on ne connaît pas encore le nombre total de sièges). Le CIO a aussi sollicité la participation de l'Organisation mondiale de la santé, du Programme des Nations unies pour le contrôle international des drogues, d'Interpol, du conseil supérieur du sport en Afrique.

Si les missions de l'agence seront précisées par son conseil, le CIO et les Etats européens se sont entendus sur certaines prérogatives. Elle sera chargée d'établir la liste des substances interdites, d'harmoniser les règles et les procédures disciplinaires, d'accréditer les laboratoires de contrôle et d'harmoniser leurs méthodes.

L'agence pourra aussi diligenter des contrôles inopinés hors compétition. Mais en coopération avec les fédérations, alors qu'il avait été fait état d'une demande européenne visant à ce que cela puisse se dérouler sans accord préalable. « Nous avons demandé que l'on tienne compte des dispositifs existants, que l'agence fasse ces contrôles hors compétition, là où ils n'existent pas déjà », précise-t-on au ministère de la jeunesse et des sports à Paris.

OPPOSITION DES AMÉRICAINS La mise en place de l'agence n'est, en tout cas, pas du goût du gouvernement américain. « Tout cela est inacceptable », a indiqué, fin octobre, le général McCaffrey, directeur de l'office anti-drogue de la Maison Blanche, dénonçant une « initiative unilatérale », l' « absence de consultation des gouvernements » et « le manque d'indépendance et de transparence » de l'agence. Cette hostilité pèsera-t-elle sur son fonctionnement ? A Paris, on veut croire que les Américains « ne pourront pas passer outre ».

Quelques actes seront nécessaires pour asseoir l'indépendance de l'agence. Les Etats devront rapidement démontrer qu'ils sont disposés à en financer le fonctionnement. Car, dans l'immédiat, c'est le CIO seul qui paie : 21,9 millions d'euros pour la première année d'activité. L'accord conclu avec l'Union européenne stipule cependant qu'à compter du 1er janvier 2002, le financement sera partagé à égalité entre mouvement olympique et organisations gouvernementales et inter-gouvernementales.

L'indépendance étant essentiellement entendue par rapport au CIO, l'agence devra aussi rapidement prendre ses distances géographiques avec ce dernier. C'est ce que souhaitent les Etats européens. Il leur reste à faire taire leurs rivalités afin que Lausanne, où sera initialement située l'agence, ne devienne pas le siège définitif. Athènes, Bonn, Lille, Lisbonne, Luxembourg, Madrid et Vienne ont fait acte de candidature.

« Ce choix n'est pas fondamental dans un premier temps », fait-on valoir au ministère de la jeunesse et des sports à Paris. On y reconnaît malgré tout que « proposer une ou deux villes candidates » pour l'Union européenne pourrait être judicieux, tout en soulignant que, au final, « ce n'est pas le CIO qui décidera », mais bien « le conseil de l'agence ».

Philippe Le Coeur